Jean Véronis
Aix-en-Provence
(France)


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vendredi, octobre 22, 2010

Histoire: Et Guy Môquet ?

Eh bien, tout le monde s'en tape...

26 avril 1924 - 22 octobre 1941

Et de Baudelaire et Rimbaud aussi.

Avertissement: "Manifester sur la voie publique est dangereux." (Luc Chatel)

7 Commentaires:

Blogger omamimi50 a écrit...

moi, je ne m'en tape pas, merci de me rappeler cette date !!!
je n'oublie pas Guy Môquet et tous les autres..et j'entends "résistance" !!!!

23 octobre, 2010 01:00  
Blogger Jean Véronis a écrit...

A dire vrai, Guy Môquet fut un martyr, mais il n'a jamais été résistant. A l'époque où il a été arrêté, le PCF et l'Humanité clandestine qu'il distribuait sans doute sous forme de tracts étaient alignés sur Moscou, et très complaisants avec l'occupant, avec qui ils appelaient à fraterniser. Leur ennemi déclaré était un certain de Gaulle, et les capitalistes de la City...

23 octobre, 2010 08:57  
Anonymous Olivier SC a écrit...

Ce qui me frappe, moi, avec Guy Môquet, c'est que, en effet, pas un mot, après tous le foin fait par qui vous savez ... Pour les deux poètes ; ils ne doivent plus être suffisamment people. La culture ? Who care(s) ?

26 octobre, 2010 19:58  
Anonymous Tom- a écrit...

Ah ben non, tout le monde s'en fout pas. Benjamin Lancar, il embauche Guy Moquet et Pierre Laval dans les rangs des courageux défenseurs de la retraite.
http://www.rue89.com/2010/10/26/retraites-benjamin-lancar-ump-sexcuse-davoir-appele-pierre-laval-a-la-rescousse-173385

Quant à la City de Londres, elle est sous le blitz des Allemands et en passe d'être réduite à un amas de ruines à l'époque où Guy Moquet distribue ses tracts.
Vous avez le droit de pas aimer les communistes, mais soyez pas obligé d'être sectaire pour autant.

27 octobre, 2010 00:44  
Anonymous Anonyme a écrit...

Il est plus facile de se réfugier dans le passé. Aujourd'hui ne peut on pas trouver des exemples de courage et de sincérité afin de changer le présent. Voici deux suggestions à discuter:...l’un des plus beaux rêves de l’humanité, celui de la liberté, celui de la prise du réel à bras le corps, de l’ouverture au monde partagé et de la quête de l’essence. "
Mahmoud Darwich
né en 1941 en Galilée et mort le 9 août 2008

Mais ses convictions se heurtent à la découverte de la réalité palestinienne. Les deux sont vrais et doivent coexister.
Hillel Cohen

29 octobre, 2010 22:14  
Blogger Jean Véronis a écrit...

Tom> Si vous voulez des preuves, consultez L'Humanité clandestine (1939-1944), Editions sociales / Institut Maurice Thorez. Ce sont des facsimilés du journal clandestin, publiés par le PCF lui-même en 1975. Ils montrent à merveille la ligne du PCF en 1940, c'est-à-dire l'alignement sur le pacte Staline-Hitler. On y cherche en vain des attaques contre les Allemands ou les nazis. Au contraire, les tracts appellent à la "fraternisation" et les attaques sont contre de Gaulle et la City, justement... J'en ai cité plusieurs exemples dans mon livre avec LJ Calvet (Les mots de Nicolas Sarkozy).

30 octobre, 2010 18:45  
Anonymous Mr Me a écrit...

salut .. j'aime les descurion comme ca

07 novembre, 2010 04:26  

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jeudi, octobre 14, 2010

Lexique: La toomuchité et la lexicographie temps réel

Assister à une naissance est un événement extraordinaire. En ce qui concerne les bébés bien sûr, mais ce serait un peu hors sujet sur ce blog... Non, je parle des mots. Les lexicographes ont été pendant des siècles condamnés à manger la poussière des bibliothèques, cherchant tant bien que mal à explorer les brumes du passé dans les vieux grimoires. Je me doutais bien que le Web offrait de nouveaux moyens d'investigation. Les lecteurs de la première heure se souviennent de quelques-unes de mes pérégrinations lexico-téliques (de tela, la toile...) (voir par exemple ici). Je me doutais bien que Twitter allait être le prochain instrument dans mon laboratoire. Et ce soir bingo ! Après une journée de bonne galère sur des bugs divers et variés, j'ouvre la télé (ce que je fais rarement) sur le Grand Journal (ce que je fais encore moins) juste au moment où l'humoriste patenté se moque de Lara Fabian et son invention magnifique de la toomuchité dans une interview. J'adore. C'est aussi bon que la bravitude. Ne croyez pas que je me moque à mon tour. J'adore moi-même inventifier des mots, et la moquosité n'est pas mon phore !


Mais là n'est pas le plus stupéfiant ! Je descends dans mon bureau, cherche la vidéo de l'interview sans la trouver. Et première surprise, aucun résultat pour "toomuchité" dans Google (les guillemets sont importants pour court-circuiter le correcteur orthographique). En soi, c'est déjà un événement. Par les temps qui courent, vous pouvez taper à peu près n'importe quel néologisme et vous le trouverez dans Google comme dans la grande bibliothèque de Borgès, où tous les livres qu'il est possible d'écrire sont déjà en rayon... Je refais la requête sans les guillemets et au milieu de résultats qui n'ont rien à voir (apparemment il existe un TooMuchIT), je découvre ces résultats "temps réel" :


Combien de temps s'était-il écoulé ? Deux minutes en tout et pour tout, sans doute... Quelques twittomanes (dont Vinz) avaient déjà eu le temps de sortir leur 'tit oiseau ! Google a enregistré le pic d'activité et nous donne déjà le graphe :

Dingue... La lexicographie temps réel !

20 Commentaires:

Anonymous dominique a écrit...

Merci pour cet article.

Dans la bibliotheque de Babel, il y a aussi le livre qui raconte la mort de la "toomuchité"

Ce que je trouve encore plus fascinant c'est le developpement complet d un langage par une communaute en ligne... Style Lolcat:
http://blog.ecairn.com/2009/06/18/semantic-web-lolcat-and-japan/

14 octobre, 2010 21:53  
Anonymous Anonyme a écrit...

Je me demande si avec le temps-rélisme (avec un é long SVP -je suis pour la réforme de l'orthographe mais aussi pour introduire (parfois) l'accent plat en français) nous aurons un jour encore le temps...

archeol

15 octobre, 2010 02:35  
Blogger Jean Véronis a écrit...

Merci pour ce lien, Dominique, c'est très intéressant en effet. Mais finalement, je me demande... Dans toutes les communautés et de tous les temps se sont développés des sociolecte et des argots, parfois totalement incompréhensibles par le commun des mortels, l'argot des gueux et de voleurs, etc. Peut-être que ce qui nous surprend autant, ce que c'est la première fois où il naît par écrit, et de façon visible par toute la planète ?

15 octobre, 2010 08:47  
Blogger Jean Véronis a écrit...

Anonyme> Peuchère... moi, comme tous les méridionaux, je suis pour supprimer la distinction entre é et è !

15 octobre, 2010 08:48  
Blogger Loran a écrit...

Bonjour Jean,

Léo Apotheker, l'ancien CEO de SAP, tenait cet été durant ses vacances (forcées) une conf ou il parlait du futur de l'informatique. Pour lui le temps réél est une des grandes (r)évolutions à venir à cause des évolutions du hardware. (Il est aujourd'hui le patron de HP)

Au cas ou, la partie sur le temps réél est tout de même perdu autour de plein d'autres trucs un peu formatés, j'avais posté ici la vidéo.

15 octobre, 2010 10:20  
Blogger Loran a écrit...

ici donc puisque ma balise href a été remplacée par un no follow (...)http://loran.blogspot.com/2010/10/leo-apotheker-le-nouveau-boss-dhp.html

15 octobre, 2010 10:23  
Anonymous Anonyme a écrit...

c'est là qu'on se dit : rien vaudra jamais un bon bouquin

15 octobre, 2010 17:22  
Blogger JMeyran a écrit...

Boulversifiant !

Les inconnus...
@jmeyran

15 octobre, 2010 19:28  
Blogger Rimbus a écrit...

je revendique le rapprochement bravitude-toomuchité !

17 octobre, 2010 00:59  
Blogger Jean Véronis a écrit...

Je crois qu'on est plusieurs à avoir fait le même parallèle ! Comme tu vois tu mes copies d'écran, je n'étais pas encore au courant de ton twit quand j'ai écris le billet ;-)

17 octobre, 2010 08:02  
Anonymous Sebastien a écrit...

La création de mots français à partir de mots anglais a de beaux jours devant elle. Mais ne faudra qu'elle tombe dans la toomuchité.

20 octobre, 2010 09:54  
Blogger Jean Véronis a écrit...

Sebastien> Comme je dis toujours, 50% du lexique anglais a été créé à partir du français, grâce à la conquête normande... donc on a de la marge !

20 octobre, 2010 09:57  
Anonymous Cochonfucius a écrit...

Pas seulement la conquête normande. Egalement la revendication (maintenant abandonnée) des monarques anglais à être aussi rois de France.

20 octobre, 2010 10:42  
Blogger Jean Véronis a écrit...

Exact ! ca a duré quelques siècles cette relation d'amour-haine... D'ailleurs la reine d'Angletere a toujours pour devise "dieu et mon droit", sans parler du "Honni soit qui mal y pense" de la Jarretière !

20 octobre, 2010 10:46  
Anonymous Anonyme a écrit...

Notez que la toomuchitude existe sur le net depuis 2007 !

20 octobre, 2010 15:38  
Blogger Jean Véronis a écrit...

Dingue ! Et la bravité ?

20 octobre, 2010 15:40  
Blogger dom a écrit...

Comment fait on pour avoir le graphique google ? Je suis curieux de voir comment se porte le bébé maintenant. Malheureusement le chronologue ne marche plus et je n'ai pas assez suivi ce blog pour savoir comment le remplacer. Honte à moi

24 octobre, 2010 11:12  
Blogger Jean Véronis a écrit...

KDom> Eh oui, hélas, le Chronologue c'est une vielle histoire...

Pour voir le graphe sur Google il faut cliquer sur "Mises à jour" dans la sidebar, et éventuellement choisir la période (par exemple octobre). Pour la toomuchité, il faut mettre des guillemets autour, sinon ça part en correction orthographique. Exemple ici.

Intéressant: grève ou retraite sur tout 2010...

24 octobre, 2010 11:27  
Blogger dom a écrit...

Merci je ne connaissais pas cette fonction, c'est à la limite du plagiat :-)

27 octobre, 2010 21:00  
Anonymous Rémi Camus a écrit...

"c'est la première fois où il naît par écrit, et de façon visible par toute la planète"

Ne pas se laisser impressionner par les grands nombres... malgré les sirènes qui veulent nous convaincre que seul le massif existe et mérite notre intérêt.
Au reste l'exemple est joli - et sa relation abondamment tweetée ("twitée"?) à son tour :-); il en encouragera peut-être certains à prêter l'oreille aux échanges du quotidien. Puisque ces créations - de mots, tournures ou formules - plus ou moins durables, plus ou moins appréciées, plus ou moins détonantes - y sont monnaie courante. Imagine-t-on quelque activité langagière sans ces bravoures-là? On a de ces dialogues avec sa boulangère, parfois...
Last but not least: si on oublie un peu le quantitatif au profit du qualitatif, il restera à expliquer le "-(it)é" ici, plutôt que "-(it)ude". Négritude versus °Négrité...

01 novembre, 2010 23:37  

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mercredi, octobre 13, 2010

Lexis: Roma and Romanians

I have just returned from a few days in Barcelona, where Pompeu Fabra University had invited me. As nothing prevents combining the pleasant with the useful, I took advantage of the occasion to go hear Bizet’s Carmen at the Gran Teatre del Liceu opera house. It was a superb performance. Roberto Alagna (Don José) did Roberto Alagna, but Beatrice Uria-Monzon was literally mind-boggling in the role of Carmen. Some say she is this role’s best interpreter today. They just might be right!


How ironic in these times of French Roma-phobia: the world's most-performed French work tells a gypsy story. Just like the Mérimée short novel from which it originates, the opera reflects the Romantic fascination with Roma (hm, Roma, Romantics… we’ll come back to this). Following perhaps in the footsteps of Cervantes (Little Gypsy), Bizet, Mérimée, Hugo, Borrow, Liszt and many others were charmed by this people living on the fringes of society, freedom incarnate - free to be on the move, free from work, free from fitting into society; all elements found in Carmen. This fascination did not lack its touch of condescendence (quite apparent, I think, in Mérimée's short novel), but all in all this 19th century tendency was doubtlessly preferable to what preceded it: Age of Enlightenment intellectuals were not very pleasant with Roms. The Encyclopaedia entry concerning them is rather revealing (see rest of article here [fr]):


Translation: EGYPTIANS, or rather BOHEMIANS, feminine, masculine, plural noun forms (Modern History). Types of disguised vagabonds, who, despite their bearing these names, nevertheless come not from Egypt, nor from Bohemia; who disguise themselves with coarse garments, dirty their faces and bodies, & make a certain jargon among themselves; who roam here & there, & exploit people by giving the pretext of telling fortunes & healing maladies, by making dupes of them, stealing & pillaging in the countryside.

When I speak of Romantic fascination with Roma, I think I am committing an anachronism. To my knowledge, the term was not in use at the time; one spoke rather of Bohemians. It is moreover the only word used in Bizet’s Carmen. Unless I'm mistaken, the French term gitane, the first that comes to the Gallic mind and which translates into the English gypsy, does not appear in his work. It would however have been more appropriate for designating the Roma from southern Spain. This word, however, does not seem to have been in common usage in 19th century language. Mérimée, an informed connoisseur of Roma culture (as shown especially in his short novel’s last chapter), used the word gitan, but in its forms gitano, gitana, which leads one to think it had not yet truly become part of the French language. Hugo used it once in The Hunchback of Notre Dame (the rest of the time he spoke of “the Egyptian”, and “Bohemians”). I don’t know when it came into common use - probably in the early 20th century (the Trésor de la Langue Française informatisé [fr], the French equivalent of the OED, mentions its use in the writings of Loti and Montherlant).

No matter, these denominations are a good indication of the confusion surrounding the origins of the Roma people. The word Bohemian recalls that they were thought to have come from Bohemia. The French gitans is (like its English counterpart gypsy) a deformation of Egiptano, because they were also believed to have come from Egypt. A third confusion seems to have come with the recent period of their controversial expulsion from France to Romania. The words Roma, Romanian seem to be six of one and half a dozen of the other, although there is no relation between the two words. The modern words Romania, Romanian come from the Latin romanus, which recalls that at a certain period (the 16th century, it seems to me), certain of the region's peoples wanted to set themselves and their linguistics apart from their Slav environment (Romanian being a romance language), and why not, perhaps also say they somehow were descended from the Romans... The word romantic has the same root, since it comes to us after a relatively complicated journey from the Old French roman, itself from the Latin romanus, which designates a work in the common language (as opposed to Latin).

The word rom however, means "man, husband" in the Rom language, that is in Romani (which is more a family of similar languages - a “macro-language” – rather than an actual single language). Mérimée knew this word:
Once we were alone she began to laugh and caper like a lunatic, singing out: “You are my rom, I am your romi

One of the names which the gypsies apply to themselves, Roma, or “the married couple”, seems to me a proof of their racial respect for the married state.
The Encyclopaedia extract shows that already in the 18th century it was suspected that the Roma were neither Egyptians nor Bohemians. Linguistics provided the first clues as to their origins. Indeed, Romani resembles the languages of northern India (see here). I don’t know if the French Wikipedia is going a little far in saying that the word Rom itself corresponds directly to the god Rama, one of Vishnu’s avatars, but it is certain that the connection between the Romani lexis and that of Sanskrit is very strong. As is often the case, linguistics and genetics come to the same conclusions (see here).

This new confusion which I seem to be finding between Roma and Romanian can easily be forgiven owing to the accidental link between these words. I don’t know if it is a completely innocent link. This is a very handy confusion [fr], between the majority of Roma who have been on French territory for centuries, and the not entirely legal minority of immigrants from Eastern Europe (see also here [fr])… The big melting pot is starting to bubble away. And the result doesn’t smell very good.


Further reading

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lundi, octobre 04, 2010

Lexique: Roms et Roumains

Je rentre de quelques jours à Barcelone, où j'ai été invité par l'Université Pompeu Fabra. Comme rien n'interdit de joindre l'agréable à l'utile, j'en ai profité pour aller écouter la Carmen de Bizet au théâtre du Liceu. Suberbe représentation. Roberto Alagna (Don José) a fait du Roberto Alagna, mais Béatrice Uria-Monzon a été littéralement époustouflante dans le rôle de Carmen. Certains disent que c'est la meilleure interprète actuelle de ce rôle... Ils ont peut-être bien raison !


Quelle ironie en ces temps de romophobie : l'œuvre française la plus jouée dans le monde raconte une histoire de gitanes... Comme la nouvelle de Mérimée dont elle est issue, elle reflète la fascination des romantiques pour les Roms (tiens, Roms, romantiques... nous y reviendrons). Marchant peut-être dans les traces de Cervantès (La petite Gitane...), Bizet, Mérimée, Hugo, Borrow, Liszt, et bien d'autres ont été séduits par la marginalité de ce peuple, qui constituait en quelque sorte l'incarnation de la liberté — liberté de se déplacer, liberté par rapport au travail, liberté des mœurs. Tous les ingrédients sont dans Carmen. La fascination n'était pas toujours exempte d'un peu de condescendance (c'est clair, je pense, dans la nouvelle de Mérimée), mais à tout prendre ce courant du XIXe est sans doute préférable au précédent : les Lumières n'avaient pas été très tendres avec les Roms. L'entrée de l'Encyclopédie les concernant est assez révélatrice (voir la suite de l'article ici) :


Quand je parle de fascination des romantiques pour les Roms, je crois que je fais un anachronisme. A ma connaissance, ce terme n'était pas employé à l'époque, et l'on parlait surtout de Bohémiens. C'est d'ailleurs le seul mot qui est utilisé dans la Carmen de Bizet. Sauf erreur de ma part, le mot gitane (qui est pourtant celui qui nous vient à l'esprit), n'y apparaît pas... Il aurait été pourtant plus approprié pour désigner les Roms du Sud de l'Espagne. Mais le mot ne semble pas avoir fait partie du langage courant au XIXe. Mérimée, qui était fin connaisseur de la culture Rom (comme le montre en particulier le dernier chapitre de sa nouvelle), utilise le mot gitan, mais sous la forme gitano, gitana, ce qui laisse penser qu'il n'était pas encore vraiment incorporé au français. Hugo l'utilise une fois dans Notre-Dame (le reste du temps il parle de l'Egyptienne, et des Bohémiens). Je ne sais pas quand il est devenu courant. Probablement au début du XXe (le TLF le mentionne chez Loti et Montherlant).

Quoi qu'il en soit, ces dénominations montrent bien la confusion qui entoure les origines du peuple Rom. Le mot Bohémien rappelle qu'on les a cru originaires de Bohème. Gitans est une déformation d'Egiptano, parce qu'on les a aussi cru originaires d'Egypte. Une troisième confusion semble s'instaurer en ces temps d'expulsion vers la Roumanie... Rom, Roumain, cela semble du pareil au même. Les deux mots n'ont pourtant aucun rapport. Roumanie, Roumain vient de romanus, ce qui rappelle qu'à une certaine époque (16e siècle me semble-t-il), certains peuples de la région ont voulu marquer leur particularité linguistique dans un environnement slave (le Roumain est une langue romane), et pourquoi pas, se dire peut-être un peu héritiers des Romains... Le mot romantique a la même racine, puisqu'il provient à travers un périple plus ou moins compliqué (peut-être par l'Angleterre), du mot roman, lui-même issu de romanus, qui désignait une oeuvre en langue populaire (en opposition au latin).

Le mot rom, quant à lui, veut dire "homme, mari" en langue Rom, c'est-à-dire en romani (qui est plus un ensemble de langues apparentées — un "macrolangage" — qu'une langue proprement dite). Mérimée connaissait ce mot :
Dès que nous fûmes seuls, elle se mit à danser et à rire comme une folle, en chantant : «Tu es mon rom je suis ta romi»
Un des noms que se donnent les Bohémiens, Romé ou les époux, me parait attester le respect de la race pour l’état de mariage.
On a vu dans l'extrait de l'Encyclopédie qu'on soupçonnait déjà au XVIIIe siècle que les Roms n'étaient ni Egyptiens ni Bohémiens. C'est la linguistique qui a donné les premiers indices sur leurs origines. En effet, la romani est apparentée aux langues d'Inde du Nord (voir ici). Je ne sais pas si Wikipedia ne s'aventure pas un peu en disant que le mot Rom lui-même correspond directement au dieu Râma, l'un des avatars de Vishnu, mais il est certain que la parenté du lexique romani avec le sanskrit est très forte. Comme c'est souvent le cas, linguistique et génétique arrivent aux mêmes conclusions (voir ici).

Ce nouvel amalgame qu'il me semble apercevoir entre Rom et Roumain est sans doute excusable par la parenté accidentelle de ces mots. Je ne sais pas s'il est totalement innocent. La confusion est bien commode entre une majorité de Roms qui sont sur le territoire français depuis des siècles, et une minorité d'immigrés pas forcément légaux en provenance des pays de l'Est (voir aussi ici)... La grande machine à tout mélanger est en route. Et le résultat ne sent pas très bon.

A lire

21 Commentaires:

Blogger Munin a écrit...

Merci pour cet éclairage. Je me permets d'ajouter le lien vers le billet d'Eolas qui tente aussi de préciser les nuances entre les différents termes.
Billet d'Eolas

04 octobre, 2010 13:32  
Blogger Jean Véronis a écrit...

Merci Munin. C'est en effet un excellent article.

04 octobre, 2010 13:34  
Anonymous Ferocias a écrit...

D'après mon Petit Robert qui date de 1985, le mot "Rom" n'existe pas.
Le dictionnaire de l'Académie française en cours (9eme édition) n'est pas encore arrivé jusque là. Dans la 8e édition (des années 1930), il n'y a pas non plus le mot Rom (d'ailleurs quand on fait une recherche, le dictionnaire renvoie à Rhum!)

04 octobre, 2010 14:24  
Anonymous chiendent a écrit...

Article très utile pour démystifier les origines de ce peuple et les vocabulaires qui fascinent et font peur tout à la fois aux gens. Mieux on connait, moins on ostracise.

04 octobre, 2010 16:06  
Anonymous Charles a écrit...

Il y a aussi les manouches, tsiganes, romanichels... beaucoup de noms aux origines diverses.

04 octobre, 2010 16:52  
Blogger Jean Véronis a écrit...

Ferocias> Le mot Rom n'existe pas non plus dans le TLF.

A dire vrai je ne l'ai jamais rencontré jusqu'à ces derniers temps. L'Union romani internationale (U.R.I.) a officialisé le terme Rom (ou RRom) dans les années 70, je crois. J'ai l'impression que c'est surtout depuis quelques années qu'il émerge, peut-être grâce au relais d'organisations internationales (ONU par exemple). D'autres lecteurs sont peut-être mieux informés ?

04 octobre, 2010 19:00  
Anonymous Mancko a écrit...

En effet, la romani (au féminin) est un macro-langage qui regroupe sept groupes de dialectes différents, chacun recouvrant une zone géographique, une adaptation au territoire et à la culture locale, preuve encore que ceux que l'on regroupe administrativement comme "gens du voyage" ne voyagent pas toujours mais partagent leur culture et l'adaptent à leur lieu de vie.
Si on compare quelques-unes de ces langues apparentées, et plus spécifiquement les nombres qu'elles utilisent, on peut aussi retracer ces échanges et cette histoire de déplacements et d'installations. Par exemple, un, deux et trois se disent "yek, duy, trin" en romani standard, "jekh, duj, trin" en romani dzambazi (Macédoine), "jek, duj, trin" en romani kalderash (Roumanie)...

04 octobre, 2010 19:15  
Blogger Jean Véronis a écrit...

Mancko> Merci infiniment pour ces précisions. Je vois sur votre blog que vous êtes spécialiste des systèmes numériques. Je le mets illico dans mon reader !

C'est fascinant ces racines sur deux et trois (d*, tr*), que nous partageons avec tant de langues indo-européennes...

04 octobre, 2010 19:29  
Blogger Jean Véronis a écrit...

By the way, en cherchant le flux RSS je vois que c'est un site et pas un blog. Qu'à cela ne tienne, c'est une très bonne adresse, merci !

04 octobre, 2010 19:31  
Blogger Jean Véronis a écrit...

Charles> Et Zingaro, Sinti...

05 octobre, 2010 09:50  
Anonymous Marie-Christine a écrit...

Je n'y avais jamasi fait attention, mais vous me rappelez que Paul Féval, dans le Bossu, appelle Doña Cruz la gitana et non la gitane

05 octobre, 2010 14:22  
Blogger Jean Véronis a écrit...

Donc vers 1850... Ca ne m'étonne pas. Le Dictionnaire de l'Académie de 1835 contient une entrée pour Bohémien (ici) mais aucune pour Gitan. En revanche on trouve des Gitans chez Loti, Montherlant, donc début 20e (cf TLF).

05 octobre, 2010 14:51  
Anonymous wobebli a écrit...

Les turcs considéraient à juste titre les byzantins (empire romain de l'est) comme des romains (rumis) pour les différencier des francs d'europe de l'ouest. Il n'est pas étonnant que les roumains se soient distingués des grecs, eux aussi byzantins, en revendiquant le nom glorieux que leur donnaient les envahisseurs. D'ailleurs, l'autre peuple de langue romane des balkans, les aroumains, s'est donné un nom similaire. Quand aux roms, étant chrétiens des balkans, ils étaient donc des roumis comme les autres pour leurs maîtres turcs. Peut être ont ils intégrés ce nom en le . Il faudrait voir quel nom(s) se donnent les roms musulmans.

05 octobre, 2010 16:48  
Blogger Jean Véronis a écrit...

Je n'ai jamais entendu cette hypothèse (rom ~ roumis), mais je ne suis pas spécialiste de la question. En ce qui concerne les Roms musulmans, j'ai entendu parler de Khorakhane (diverses orthographes Xoraxane, Kharokane, Xoraxai).

05 octobre, 2010 17:01  
Anonymous wobebli a écrit...

Moi non plus je ne suis pas spécialiste de la question et je n'ai jamais entendu parler non plus de cette hypothése car je viens de la formuler à l'instant!

05 octobre, 2010 18:30  
Anonymous Lourdoueix a écrit...

Si on regarde dans les dialectes, on trouve d'autres dénominations, parmi lesquels "comédiens" (je n'en ai pas entendu d'autre durant mon enfance dans le berry) et de plus étonnants "maramiens" et même [go] que je ne saurais interpréter graphiquement.

06 octobre, 2010 01:07  
Anonymous Anonyme a écrit...

Bonjour, pour compléter côté lirica on peut citer Verdi (Il trovatore) et Puccini (dont la Bohême est déjà celle d'Aznavour).
archeol

06 octobre, 2010 18:22  
Anonymous Anonyme a écrit...

"pas forcément légaux" est-ce que la formule ne serait pas un tantinet maladroite ? Il semblait que, pour une fois, l'expression de "sans papier" faisait à peu près l'unanimité, en conciliant les tenants de la légalité et ceux de l'humanité.
"au statut malheureusement incertain" ? "" ? "pourchassés déjà par les douaniers" ? "sans papier" ? "démunis" ?

09 octobre, 2010 21:10  
Anonymous Anonyme a écrit...

"Le mot Bohémien rappelle qu'on les a cru originaires de Bohème." :

Wikipédia indique à ce propos :

"Bohémiens est utilisé à partir du XVe siècle siècle. Plusieurs auteurs rapprochent cette appellation des lettres de protection de Sigismond, empereur du Saint-Empire, roi de Hongrie et de Bohème dont se recommandent des groupes signalés à Deventer, Bruxelles, Châtillon-sur-Chalaronne et Mâcon autour des années 1420."

(http://fr.wikipedia.org/wiki/Romanichel)

10 octobre, 2010 20:11  
Anonymous Ferocias a écrit...

J'ai fait quelques recherches sur Gallica.
Dans le dictionnaire général de police administrative et judiciaire ( 1875) on trouve un dictionnaire d'argot. A "romanichel" on a "Maison où logent d'ordinaire les voleurs."
Dans le Tome 18 du dictionnaire encyclopédique de sciences médicales (1885) dirigé par A. Dechambre, le terme Tziganes renvoie encore à Bohémiens.

10 octobre, 2010 21:03  
Anonymous BLONDEAU Philippe a écrit...

UNE REFERENCE: écoutez la magnifique chanson en italien de Fabrizio de André & Ivano Fossati, KHORAKHANE, avec une cauda une langue rom chantée en langue rom par Luvi, la fille de Fabrizio, dans la version live de 98, quelques mois avant la disparition de Fabrizio. Cette chanson, écrite en hommage affectueux et respectueux au peuple rom, est pleine de subtiles références.

LA LANGUE: quant au système de numération, pour répondre à Jean Véronis, il est comparable au nôtre de "un" à "dix", mais également dans les nombres "vingt", "cent" etc. Tout n'est question que d'évolution phonétique. De nombreux autres mots trahissent l'origine indo-européenne de cette langue.

Philippe Blondeau 72

07 septembre, 2011 00:13  

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