Sarkozy: Le rêve désenchanté
La droite s'est beaucoup moqué du « rêve français » que François Hollande veut réenchanter. Les caciques de l'UMP se sont succédé sur les plateaux pour nous expliquer que la politique, ce n'est pas la promesse de rêve, mais le sens des réalités, dont le champion serait le président Sarkozy, comme l'explique Jean-François Copé (qui bien sûr ne pratique jamais la langue de bois) :
Nous l'avons monté largement avec Louis-Jean Calvet dans « Les mots de Nicolas Sarkozy », qui est peut-être un bon cadeau à mettre sur votre lettre au père Noël. Le diagramme ci-dessous montre la fréquence des mots rêve(r) dans les discours des quatre principaux candidats pendant la campagne de 2007 :
On voit que ce mot est assez marginal chez les autres candidats, comme il l'est en règle générale dans le discours politique. En revanche, il est omniprésent dans les discours de campagne de Nicolas Sarkozy, qui le prononce pas moins de 277 fois ! Vous pourrez vous amuser à retourner aux sources avec ma base des discours en ligne (voir rêve, rêver).
L'évolution dans le temps est d'ailleurs très intéressante. Le diagramme ci-dessous montre que le mot rêve était marginal aussi chez Nicolas Sarkozy jusqu'en 2006, et qu'il explose à partir du début 2007, ce qui montre assez clairement qu'il s'agit d'une fabrication spéciale pour la campagne présidentielle.
Si l'on compare les discours écrits par Henri Guaino à ceux des autres « plumes » de Nicolas Sarkozy pendant la dernière campagne (voir mon analyse ici), on voit clairement que Guaino est l'inventeur du rêve :
Tout le monde rêve sous la plume de Guaino, les enfants, les parents (pour leurs enfants), et ainsi de suite. Comme nous le faisons remarquer dans notre livre, Guaino laisse la construction européenne aux technoplumes. Pour lui, l’Europe, c’est le « rêve européen ». La Méditerranée ? Le « rêve méditerranéen ». La République ? Un « rêve d’universalité et de fraternité». Les conquêtes, les croisades, les invasions? Le rêve d’Alexandre, de Charlemagne, des chevaliers, de Jeanne d’Arc, des empereurs du Saint Empire, des rois de France, de Bonaparte, des soldats de l’An II.
Le point culminant fut sans aucun doute le discours au Zénith du 18 mars 2007, dans lequel Nicolas Sarkozy et Henri Guaino convoquent carrément Martin Luther King :
C'était beau. Si l'on en juge par les résultats dans les urnes, bien des électeurs ont adhéré à ce rêve français.
Ils ont probablement déchanté depuis. Dès la soirée au Fouquet's, il paraît, d'après Ariane Chemin et Judith Perrignon (La Nuit du Fouquet’s, Fayard, 2007), que l'inventeur du rêve sarkozyen, Henri Guaino, faisait grise mine, comme s'il entrevoyait déjà la suite: le yacht Bolloré, l'intronisation à l'Elysée façon principauté, Disneyland, la Rolex, bref, tout ce qu'on a appelé la présidence bling-bling. Les sondages et la côte de désamour qui ont suivi montrent que le rêve peut parfois se transformer en cauchemar...
« [Nicolas Sarkozy] n’a occulté aucune difficulté, aucun tabou. Il a dit les choses telles qu’elles sont et non le sentiment d’un rêve »Le président, peut-être, mais le candidat de 2007, cela reste à voir. Jean-François Copé et ses amis font semblant d'oublier, pouvant compter en cela sur la mémoire assez brève de l'électorat, que le rêve était l'un des principaux thèmes de campagne... de Nicolas Sarkozy.
« Il ne ré-enchante pas le rêve mais éclaire le chemin des Français ainsi que la raison profonde de son action et de sa mission ».
Nous l'avons monté largement avec Louis-Jean Calvet dans « Les mots de Nicolas Sarkozy », qui est peut-être un bon cadeau à mettre sur votre lettre au père Noël. Le diagramme ci-dessous montre la fréquence des mots rêve(r) dans les discours des quatre principaux candidats pendant la campagne de 2007 :
On voit que ce mot est assez marginal chez les autres candidats, comme il l'est en règle générale dans le discours politique. En revanche, il est omniprésent dans les discours de campagne de Nicolas Sarkozy, qui le prononce pas moins de 277 fois ! Vous pourrez vous amuser à retourner aux sources avec ma base des discours en ligne (voir rêve, rêver).
L'évolution dans le temps est d'ailleurs très intéressante. Le diagramme ci-dessous montre que le mot rêve était marginal aussi chez Nicolas Sarkozy jusqu'en 2006, et qu'il explose à partir du début 2007, ce qui montre assez clairement qu'il s'agit d'une fabrication spéciale pour la campagne présidentielle.
Si l'on compare les discours écrits par Henri Guaino à ceux des autres « plumes » de Nicolas Sarkozy pendant la dernière campagne (voir mon analyse ici), on voit clairement que Guaino est l'inventeur du rêve :
Tout le monde rêve sous la plume de Guaino, les enfants, les parents (pour leurs enfants), et ainsi de suite. Comme nous le faisons remarquer dans notre livre, Guaino laisse la construction européenne aux technoplumes. Pour lui, l’Europe, c’est le « rêve européen ». La Méditerranée ? Le « rêve méditerranéen ». La République ? Un « rêve d’universalité et de fraternité». Les conquêtes, les croisades, les invasions? Le rêve d’Alexandre, de Charlemagne, des chevaliers, de Jeanne d’Arc, des empereurs du Saint Empire, des rois de France, de Bonaparte, des soldats de l’An II.
Le point culminant fut sans aucun doute le discours au Zénith du 18 mars 2007, dans lequel Nicolas Sarkozy et Henri Guaino convoquent carrément Martin Luther King :
Souvenez-vous de Martin Luther King, ce pasteur noir qui a dit un jour à l’Amérique devant le mémorial de Lincoln à Washington : « Je rêve qu’un jour notre pays se lèvera et vivra pleinement la véritable réalité de son credo : que tous les hommes sont créés égaux.
« Je rêve qu’un jour sur les rouges collines de Géorgie les fils des anciens esclaves et les fils des anciens propriétaires d’esclaves pourront s’asseoir ensemble à la table de la fraternité.
« Je rêve que mes quatre petits-enfants vivront un jour dans un pays où on ne les jugera pas à la couleur de leur peau mais à la nature de leur caractère. »
Ce discours bouleversa le monde et le grand rêve de fraternité et de justice dont il parlait changea l’Amérique.
Si le rêve a pu changer l’Amérique, pourquoi ne permettrait-il pas aujourd’hui de changer la France ? Nous y arriverons si la jeunesse française se l’approprie comme hier la jeunesse américaine a fait sien celui de Martin Luther King.
Je rêve que le peuple français tout entier se lève pour que la fraternité ne soit plus seulement un mot gravé sur le fronton des mairies mais devienne une réalité entre les hommes et les femmes de notre pays.
Je rêve qu’un jour tous les enfants dont les familles sont françaises depuis des générations, tous les enfants de rapatriés et de harkis, tous les enfants d’immigrés, tous les petits-enfants d’Italiens, de Polonais et de républicains espagnols, tous les enfants catholiques, protestants, juifs ou musulmans puissent s’asseoir ensemble à la table de la fraternité.
Je rêve que vous viviez dans une France où personne ne soit jugé sur la couleur de sa peau ou sur sa religion ou sur l’adresse de son quartier, mais sur la nature de son caractère.
Je rêve que tous les enfants de tous les quartiers, de toutes les couleurs, de toutes les religions qui habitent ce pays qui est le leur puissent partager la même fierté d’être français, les mêmes rêves et les mêmes ambitions, qu’ils aient le sentiment de vivre dans le même pays avec les mêmes chances et les mêmes droits.
Je rêve d’une France où chacun trouve sa place, où les professeurs n’aient plus peur de leurs élèves, où les adultes n’aient plus peur des jeunes, où les jeunes n’aient plus peur de devenir adultes, où les parents n’aient plus peur que leurs enfants vivent moins bien qu’eux, où l’ouvrier ne vive plus dans la hantise des délocalisations, où la différence ne soit plus vécue comme un danger mais comme une richesse, où l’avenir ne soit plus une menace mais une promesse.
C'était beau. Si l'on en juge par les résultats dans les urnes, bien des électeurs ont adhéré à ce rêve français.
Ils ont probablement déchanté depuis. Dès la soirée au Fouquet's, il paraît, d'après Ariane Chemin et Judith Perrignon (La Nuit du Fouquet’s, Fayard, 2007), que l'inventeur du rêve sarkozyen, Henri Guaino, faisait grise mine, comme s'il entrevoyait déjà la suite: le yacht Bolloré, l'intronisation à l'Elysée façon principauté, Disneyland, la Rolex, bref, tout ce qu'on a appelé la présidence bling-bling. Les sondages et la côte de désamour qui ont suivi montrent que le rêve peut parfois se transformer en cauchemar...
16 Commentaires:
Le rêve est aussi un ingrédient de certaines constructions poétiques.
Pas aussi beau que ceux des candidats, nous en convenons volontiers.
La politique c'est parfois un peu de la poésie, finalement. Guaino l'a bien montré: l'anaphone, les sonorités, le rêve...
À sa décharge, après Mitterrand (14 ans) et Chirac (12 ans), en avril 2007, inviter à rêver une nouvelle France, c'était plutôt pas mal. Evidemment, personne n'a vu venir (à tort ?) les événement de septembre 2007...
Dans ce contexte, en novembre 2011, re enchanter le rêve français, ça a quand même quelque chose de profondément saugrenu.
Personnellement le rêve me plaît assez. Déjà en 68 d'ailleurs...
Où va une société qui ne rêve plus ?
J'aime beaucoup l'idée et le principe de cette analyse, par contre, je me demande encore une fois à la lecture de cette nouvelle étude si vous prenez en compte la proximité des termes visant à renverser la portée du mot, je pense aux termes "pas, jamais, arrêter, etc". Vos analyses seraient grandement éclairées si vous révéliez ces éléments.. Car on sait tous que rêver et "ne pas rêver" ont des portées diamétralement opposées.. Ne pas les prendre en compte, c'est orienter les résultats, et fausser l'étude..
Vous avez raison. Ceci étant personne n'est en mesure de le faire, la complexité du langage échappe pour l'instant en grande partie à la science.
il faut donc être prudent. Néanmoins quand on travaille sur des masses statistiques, on peut faire des hypothèses. Que Sarkozy utilise 10 fois plus le mot rêve que Royal n'est pas anodin. Qu'il l'utile principalement à la négation serait toute de même surprenant, et il n'y a, pour s'assurer du contraire, pour l'instant, que l'oeil de l'expert.
Je crois volontiers que l'exhaustivité échappe à la science en matière d'analyse du langage, la question de l'ironie en particulier demeure. Mais il n'est pas beaucoup plus compliqué d'analyser la présence d'un mot dans l'environnement d'un autre. Ce n'est qu'une question de filtres, et donc beaucoup du choix de logiciel. Le problème vient surtout du temps à sa disposition, et si j'ose, de ce que l'on cherche à démontrer.
Pour avoir fait de la recherche sur le sujet pendant une trentaine d'années, je suis bien placé pour connaître la difficulté du problème. Je ne connais hélais pas de logiciel qui traite ce type de contexte de façon fiable...
Si on parle d'un logiciel qui le ferait tout seul, alors moi non plus.
Il me semble avoir à me justifier :
Je tiens donc à préciser que je sais à qui je m'adresse, pour avoir commencé l'apprentissage de l'analyse sur Contextes et avoir survolé votre page wikipedia. (Précisons également que mon master, s'il se raccroche à la grande branche de la linguistique, n'est pas aussi spécifique, j'avoue avoir malheureusement perdu le jargon).
D'autre part, si je dois confesser mes penchants politiques, je dois avouer que votre article va dans le bon sens en ce qui me concerne.
J'ose une dernière question en espérant que vous n'y verrez pas là de la persécution. De quelle manière rééquilibrez-vous l'écart entre les 630 discours de Nicolas Sarkozy, les 43 de Ségolène Royal, les 43 de François Bayrou et les 27 de Le Pen ?
Non, non, ne vous justifiez pas ! le but n'est jamais ici de mettre qui que ce soit mal à l'aise, pardonnez-moi si j'ai pu en donner involontairement le sentiment.
En ce qui concerne le rééquilibrage, les graphiques que je donne sont exprimés en fréquence pour 100 000 mots, ce qui permet de tenir compte des différences de taille. D'ailleurs, les 630 discours de Nicolas Sarkozy sont sur la période 2004-2011. Pendant la campagne, de tête il me semble qu'il en a fait 64 -- ce qui est déjà beaucoup. Ca fait la taille d'un beau roman (et ça permet donc d'avoir un point de vue statistique un peu crédible).
Salut
Merci beaucoup pour l’article
Bon courage
A bientôt
Qui survivra, verra.
"Le sommeil de la raison..."
Votre analyse démontre surtout que ce n'est pas le rêve qui développe l'imagination.
Votre analyse démontre surtout que ce n'est pas le rêve qui développe l'imagination.
Blogueur de la vingt cinquième heure, je découvre vitre lieu avec intérêt et plaisir!
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