Jean Véronis
Aix-en-Provence
(France)


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jeudi, novembre 12, 2009

Sarko: Guerre civile et réforme de l'Histoire

Nous avons longuement analysé avec Louis-Jean Calvet la façon dont Nicolas Sarkozy aime réécrire l'Histoire, et, aidé par la plume d'Henri Guaino, la transformer en une gigantesque image d'Epinal, du "rêve de Charlemagne" au "résistant" Guy Môquet (qui n'en est pas moins un douloureux martyr)... Si nous avons abordé cette dérive révisionniste du point de vue du langage dans notre livre, d'autres l'ont abordé de façon magistrale du point de vue de l'historien, et je ne peux que vous conseiller la lecture de ce superbe document collectif : Comment Nicolas Sarkozy écrit l’histoire de France.



Il était donc prévisible que le discours du 11 novembre s'inscrirait dans cette lignée. Ca n'a pas loupé. Vous avez sans doute noté que le Président a qualifié la terrible guerre de 14-18, qui est une période pour laquelle je ressens quelque émotion, de "guerre civile". Nicolas Sarkozy n'est pas un idiot, et ses plumes encore moins. Ils savent très bien ce que les mots veulent dire. Une guerre civile est une guerre entre citoyens d'un même pays, tous les dictionnaires vous le diront. Qualifier de "guerre civile" une guerre qui n'en était pas une relève donc d'une posture et d'un message particulier que l'on souhaite faire passer.



Je ne partage pas les analyses que j'ai pu lire ici ou là sur le Net, par exemple chez Marc Vasseur. Je ne pense pas que l'utilisation du terme "guerre civile" soit liée à la volonté de minimiser la boucherie gigantesque qu'a été cette guerre. Il y a eu des guerres civiles terriblement meurtrières, la guerre de Sécession (Civil War en anglais) en a été une. La guerre d'Espagne a certainement été assez sanguinaire aussi, le terrible tableau de Guernica est là pour nous le rappeler.

On peut voir aussi dans ce mot la volonté de faire passer à travers une figure de style — un anachronisme en l'occurrence— le message que nous sommes, nous Européens, désormais un seul et même peuple. L'intention est peut-être louable, même si l'on peut discuter la licence qu'elle emprunte par rapport à l'Histoire, et la déformation de la compréhension du monde qu'elle introduit chez les jeunes générations. [ mise à jour : C'est sans doute dans ce sens que l'utilise Lyautey dès 1914, comme nous le rappelle "ruinescirculaires" en commentaire ci-dessous : "Ils sont fous. complètement fous, une guerre entre Européens est une guerre civile". ]

Mais il y a hélas une autre lecture possible. Qualifier la guerre de 14-18 de "guerre civile", c'est faire oublier ce qu'elle a vraiment été. Une guerre qui a au contraire résulté du nationalisme le plus délirant et le plus exacerbé. Après la guerre de 70, deux générations ont baigné dans la volonté de revanche et la haine du boche. Les jeunes hommes qui allaient servir de chair à canon et pour nombre d'entre eux périr dans les poux et les excréments au fond des tranchées, ces jeunes hommes sont quasiment tous partis la fleur au fusil, heureux d'aller défendre le drapeau...

En ces temps de retour aux nationalismes, au renfermement sur soi et à l'Identité nationale, c'est bien commode.

Heureusement que l'amateurisme de l'équipe présidentielle sécrète parfois l'antidote à son propre poison. On a eu récemment un exemple cocasse du principe de l'arroseur arrosé avec l'histoire du Mur. Le Net que l'on accuse parfois du pire a été capable du meilleur. Je vous laisse voir l'analyse et surtout l'incroyable déferlement d'images détournées chez André Gunthert. C'est à mourir de rire.

L'humour est finalement la meilleur forme de lutte contre l'imbécillité. Les poilus l'avaient bien compris : eux qui ne mourraient pas de rire, on sait à travers leurs écrits (et en particulier les émouvants "journaux de tranchées") qu'ils riaient de devoir mourir de façon aussi absurde. Je vous recommande vivement la lecture de ce recueil de facsimilés :





Quelle belle leçon ils nous donnent près d'un siècle plus tard ! Voilà l'Histoire dont il faut se souvenir.

25 Commentaires:

Anonymous Damien a écrit...

...Nicolas Sarkozy aime réécrire l'Histoire, et, aidé par la plume d'Henri Guano, la transformer...
Le sujet ne prête pas à rire, mais si c'est la plume d'Henri Guano alors c'est sans doute une plume de m...e !

Et en passant, merci pour votre blog passionnant.

12 novembre, 2009 22:03  
Anonymous Anonyme a écrit...

Jean

Je n'ai pas dit que Sarkozy en parlant de guerre civile cherchait à minimiser.
je me cite "Enfin, je crois sincèrement que le mot « civil » minore l’ampleur de la déflagration à l’échelle du continent et donc par conséquent érode la mémoire collective."

12 novembre, 2009 22:25  
Anonymous marcelin a écrit...

Ce "Guano" est méchammment parfait

12 novembre, 2009 22:48  
Anonymous Anonyme a écrit...

La notion de « Guerre civile européenne » ne me semble pas particulièrement nouvelle. Elle est utilisée par Nolte (qu'on aurait du mal à classer à gauche) et par Enzo Traverso (qu'il serait indécent de classer à droite...), elle avait été esquissée par Paul Valery (qu'il n'est pas absurde de classer ailleurs). Tout ça prouve uniquement que les écrivaillons des discours de Sarkozy ont de la culture...

13 novembre, 2009 06:56  
Blogger Jean Véronis a écrit...

Damien> Merci d'avoir noté cette coquille. J'espère que ce n'est pas mon inconscient qui travaille...

13 novembre, 2009 08:28  
Blogger Jean Véronis a écrit...

Marc> Oui, c'est sur ce point que je n'ai pas la même perception. Je ne suis pas bien sûr que "civile" minore grand chose -- à part justement le choc des nationalismes.

13 novembre, 2009 08:30  
Blogger Jean Véronis a écrit...

Anonyme> Oui, le terme "guerre civile européenne" a déjà été utilisé. Les plumes de Sarkozy (en particulier Guaino) sont cultivées. Mais ce n'a jamais été sans arrière pensée: Nolte a été accusé de banaliser le nazisme et l'Holocauste...

13 novembre, 2009 08:34  
Blogger Unknown a écrit...

"On peut voir aussi dans ce mot la volonté de faire passer à travers une figure de style — un anachronisme en l'occurrence— le message que nous sommes, nous Européens, désormais un seul et même peuple."

L'expression "guerre civile européenne" trouve son origine dans une déclaration du maréchal Lyautey qui dès 1914 déclare : ""Ils sont fous. complètement fous, une guerre entre Européens est une guerre civile".
C'est bien entendu à cette déclaration que fait allusion le discours de Sarkozy.
Quant à Nolte, l'accuser de banaliser le nazisme et l'holaucauste c'est pour le moins réducteur : je vous renvoie au débat entre Nolte et Furet.

13 novembre, 2009 09:55  
Blogger Jean Véronis a écrit...

Ruinescirculaires> Merci pour ce rappel de Liautey ! J'ai ajouté un petit édit dans le texte.

Quant à Nolte, oui, le il y a eu débat. Je dirais même polémique !

13 novembre, 2009 11:12  
Anonymous francis a écrit...

tout à fait d'accord avec votre analyse: cette guerre ne fut pas "civile": ce fut celle des nations, des nationalismes exacerbés, des alliances impensables qui entraînèrent les peuples dans la guerre, comme une revanche de celle de 1870, qui fut sans doute la cause de ce déferlement des nationalismes....

13 novembre, 2009 12:43  
Anonymous Anonyme a écrit...

Bonjour. Comme toujours avec les historiens officiels (auxquels Sarkozy ne fait qu'ici emboîter le pas) : un mensonge n'a fait qu'en remplacer un autre... Les intéressés ont fini par comprendre que le récit sur la première guerre mondiale, présentée comme guerre de "la Civilisation" contre "la barbarie", n'était plus accepté. Aussi et sans états d'âme ont-ils changé leur... fusil d'épaule et commencé à verser leur larmichette sur la tuerie qui opposa les peuples européens.
De ce strict point de vue l'expression "guerre civile", si on prend la société européenne pour base de référence, n'est pas fausse. Mais bien entendu c'est toujours le même mensonge, pour ce qui est des origines et des responsabilités de la guerre. Qui plus est : cette notion de "guerre civile" leur permet, en survalorisant le consensus des combattants, de... minimiser encore plus qu'hier, le rôle des dirigeants.

luc nemeth

13 novembre, 2009 14:57  
Anonymous Annie a écrit...

je hais les guerres et leur commémoration je me suis donc replié pour ne rien entendre. Donc merci de cette info essentielle que j'aurais loupé sinon.
il y eut la veille un excellent téléfilm sur les "fusillés pour l'exemple" - et me suis dit après coup que d'autres morts (tels les Africains) se sont fait aussi exterminer sans que la "nation reconnaissante…"-.
Au moins nous étions (passé ? serait-ce encore possible ?) bien en République démocratique pour que la révision ait pu finalement avoir lieu, même si ce fut après de longs et douloureux combats devant les gouvernements successifs et la Justice. C'est toute la différence avec des vrais régimes fascistes ou des dictatures.
pour revenir au sujet : anachronisme, ce n'est pas ainsi qu'on apprend l'Histoire et que l'on peut comprendre les générations précédentes… et leur courage ou/et leur souffrance.

13 novembre, 2009 17:45  
Blogger Blog des amateurs d'économétrie a écrit...

Lyautey, non ?

13 novembre, 2009 19:00  
Blogger Jean Véronis a écrit...

Oui, merci!

13 novembre, 2009 19:01  
Anonymous FrédéricLN a écrit...

anonyme a écrit : "Les intéressés ont fini par comprendre que le récit sur la première guerre mondiale, présentée comme guerre de "la Civilisation" contre "la barbarie", n'était plus accepté."

C'est d'une judicieuse mais amère ironie. S'il faut attendre 90 ans pour que la guerre contre les talibans soit interprétée plus raisonnablement que "comme guerre de "la Civilisation" contre "la barbarie" ", la patience du bon sens va être mise à rude épreuve.

15 novembre, 2009 09:16  
Anonymous Chironex a écrit...

Parler de guerre civile européenne est une absurdité à l'heure du débat sur l'identité nationale. Les tranchées sont le creuset de la nation. Sarkozy fait l'exact contraire de ce qu'il dit: il restructure les temps forts de l'histoire nationale alors qu'il prétend s'en faire le promoteur. Lui et ses gens marchent sur la tête. Bientôt, il nous dira que les guerres révolutionnaires contre les monarchies coalisées étaient des guerres civiles. Le fait est que Sarkozy ne sait plus où se mettre, entre impératif de construction européenne et vieil étendard de l'identité nationale. Il est condamné à ne faire que de la forme, puisque le fond ne tient pas debout.

15 novembre, 2009 13:34  
Anonymous schlomo a écrit...

c'est une guerre civile pour nous qui connaissons maintenantla construction européenne après la seconde guerre mondiale

c'est aussi le point de vue LVF de ceux qui regrettent que les deux pays n'aient pas combattu ensemble le "bolchévisme"

15 novembre, 2009 21:59  
Anonymous Anonyme a écrit...

schlomo n'a pas tort de rappeler que c'est là, d'une certaine manière, le point de vue LVF, et Jankelevitch déjà, dans son formidable article "Dans l'honneur et la dignité" (paru dans les Temps modernes de juin 1948), avait parfaitement vu ce qui est un peu plus qu'un... détail : la bourgeoisie française, qui vivait dans la haine-du-boche depuis 1870, commença à porter un tout autre regard sur le nationalisme allemand à partir du moment où l'Allemagne eut à sa tête un Hitler !

luc

16 novembre, 2009 11:20  
Anonymous Anonyme a écrit...

(suite) ne parlons pas de la droite hongroise...

16 novembre, 2009 11:22  
Anonymous Anonyme a écrit...

Qu'est-ce qu'un rejeton de petit hobereau hongrois, inculte, mégalomaniaque frustré, peut comprendre à la France?
Et qu'est-ce que c'est que cette France qui l'a élu?

16 novembre, 2009 19:16  
Anonymous Anonyme a écrit...

guerre civile...ne serait-ce pas référence à un ennemi intérieur?inciter à la peur du voisin?du voisin de palier...
Je pense qu'il n'est ni habile ni intelligent, mais sincèrement con.

16 novembre, 2009 20:59  
Anonymous autre anonyme a écrit...

Dommage qu'il n'ait pas fait un autre anachronisme en parlant d'une guerre des Identités Nationales (ayant massacré beaucoup d'immigrés).

C'est un malin, tout de même.

16 novembre, 2009 21:20  
Anonymous Anonyme a écrit...

... feriez-vous allusion à la guerre d'Algérie, Anonyme de 21:20 ? Officiellement ce n'était pas une guerre, mais une... "opération de maintien de l'ordre". Et si ma mémoire est bonne ce fut dans le contexte d'une campagne électorale, qu'espérant bénéficier du vote de ces anciens combattants, la croqueuse-de-diamants (Giscard) consentit à leur attribuer enfin la carte d'anciens combattants.

luc

18 novembre, 2009 15:48  
Anonymous bellegarde-webb a écrit...

Merci pour cet article. J'espère vraiment que l'amateurisme de l'équipe présidentiel est réèl et qu'il se prendra à ses propres pièges. Grand Dieu mon grand père était dans les tranchées et comme je suis à peu près certaine du vote de ma mère, cela me fait blémir de rage!

19 novembre, 2009 13:55  
Anonymous Anonyme a écrit...

il y a peu de chances, bellegarde-webb, que l'intéressé "se prenne à ses propres pièges", et ce pour une bonne raison : à force de tout dire et son contraire (excepté bien sûr à propos de ses privilèges et de ceux de sa clique et qui eux, font partie du non-négociable) il en arrivera, si ce n'est déjà fait, à une situation où se trouvera toujours une déclaration antérieure signée... Sarkozy, pour justifier toute décision ! Donc le plus raisonnable, à mon avis, est de : ne pas faire attention à ce qu'il raconte.

luc

20 novembre, 2009 10:38  

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