Jean Véronis
Aix-en-Provence
(France)


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jeudi, octobre 01, 2009

Politique: L'art du dérapage

Un journaliste vient de m'interviewer sur le thème : "Pourquoi les hommes politiques dérapent-ils autant ces temps-ci ?". Il faisait référence bien entendu à la récente bourde de Brice Hortefeux, et à la longue liste des excès sarkoziens, "Casse-toi pauvre con" en-tête.



J'ai trouvé la question intéressante, tout d'abord par son sous-entendu : on a l'impression que les politiques dérapent plus ces temps-ci... En y réfléchissant un peu, je me dis qu'ils ont toujours dérapé. Et pas seulement les spécialistes, comme Georges Marchais ("Taisez-vous Elkabbach") ou Jean-Marie Le Pen ("Durafour crématoire", etc.). Non, même les hommes politiques bon teint se sont souvent laissés aller aux pires excès... A-t-on oublié le duel à l'épée de Gaston Deferre avec René Ribière en 1967, après que le premier ait traité le second d'abruti dans l'hémicycle ?




Ou bien les insultes indignes dont a été l'objet Simone Veil en 1974 lors du débat sur l'avortement...


Ce n'est d'ailleurs pas toujours la colère qui les pousse aux dérapages. C'est souvent leur inconscient qui les travaille... par exemple lorsque Jacques Chirac mélange les casquettes et les cassettes en pleine affaire Méry, ou lorsque Lionel Jospin présente ses "meilleurs vieux" après sa première bourde sur la vieillesse du même Chirac.

C'est parfois moins drôle. Lorsque Raymond Barre explique tranquillement que "même des Français" ont été tués dans l'attentat de la rue Copernic, cela ressemble étrangement au dérapage d'Hortefeux. Je ne crois pas que ni l'un ni l'autre soient activement racistes ou antisémites, mais leur inconscient a laissé sortir ces vieux relents désagréables, latents dans la société française, et dont ils sont finalement imprégnés.

Rien de nouveau sous le soleil, donc. Si cela nous semble plus aigu ces temps-ci, c'est peut-être lié à plusieurs facteurs (mis à part l'effet de loupe classique qui nous fait toujours trouver le présent différent du passé...). Tout d'abord, les journalistes "se lâchent" plus souvent qu'avant. Bien sûr, il y a toujours autocensure (voire une certain peur) dans les rédactions, mais ceux qui ont connu le temps de l'ORTF se souviennent qu'on a vécu pire. Quant on n'ose pas directement publier les extraits gênants, on organise des fuites (je crois que ce fut le cas pour certaines images "off" de Nicolas Sarkozy sur FR3)... Parfois ce sont les télés étrangères qui se chargent de balancer (comme dans le cas de la vidéo dite de "Sarko bourré"). Autre facteur, bien sûr: Internet. Le buzz peut maintenant se répercuter, s'amplifier de façon (fort heureusement) pour l'instant incontrôlable. Grâce à You Tube, la vidéo "Sarko bourré" a fait le tour du monde. Les blogs, Facebook ou Twitter servent désormais à jouer du tam-tam. L'affaire Hortefeux a crevé les baffles (voir ici)...



Et puis enfin, il me semble observer un phénomène nouveau. Une certaine "désinhibition" de la classe politique. Le doigt d'honneur d'Eric Besson est de ce point de vue exemplaire. Peut-on imaginer que sous de Gaulle ou Pompidou un ministre ait pu rester à son poste plus d'une heure après un comportement aussi grossier ? Mais l'exemple vient désormais d'en haut. Lorsque le président de la République peut lancer un "Casse-toi pauvre con" à ses interlocuteurs, et rabaisser le langage au niveau du caniveau, tout est permis pour les sbires. Qui ne s'en privent pas.

14 Commentaires:

Anonymous Dominique a écrit...

On peut reprocher bien des choses à Georges Marchais, mais il n'a jamais prononcé cette phrase, mais quelque chose comme "laissez-moi parler, ne m'interrompez pas tout le temps". La phrase n'existe que par le livre d'Elkabbach et de son épouse Nicole Avril. Le problème, c'est qu'elle sonne exactement comme du Marchais, on est tous prêts à croire qu'il l'a bien dite même si ce n'est pas le cas, parce qu'il en aurait été capable à notre avis. De même, les phrases attribuées à Marchais par un imitateur comme Pierre Douglas pouvaient faire Marchais. Quand une personne publique peut être caricaturée à ce point, la fiction devient la réalité, mais il y avait un os avant ; on n'y croit pas par hasard. C'était un condensé de la pensée et du verbe Marchais.

01 octobre, 2009 17:45  
Blogger Jean Véronis a écrit...

Oui, le "Taisez-vous Elkabbach" est devenu une sorte d'emblème, plus vrai que nature, qui résume le style Marchais et la communication entre les deux hommes (j'analyse ça plus en détail ici). Mais Marchais était quand même le spécialiste des dérapages. Notamment, sur un thème très proche de l'affaire Hortefeux : ses propos sur l'immigration sont de sinistre mémoire.

01 octobre, 2009 17:50  
Anonymous [Enikao] a écrit...

Il n'y avait sans doute pas moins de dérapages auparavant, mais dans les événements récents deux facteurs jouent à plein, je crois :

- Il y a davantage de moyens de capter ces dérapages et d'en avoir une preuve autrement plus tangible qu'un simple témoignage oral. Un téléphone mobile, une caméra portable sont des outils accessibles au plus grand nombre. D'où la disparition du "off" en politique.
- Internet a, en plus des éléments de type "preuve", apporté le moyen de diffuser largement. Un simple individu peut mettre en ligne ses trouvailles, partager à ses réseaux, ce qui par capillarité peut faire effet boule de neige jusqu'à ce qu'un média s'en saisisse et amplifie le phénomène (le fameux "buzz").

Aussi, nous avons au final davantage de témoins capables d'apporter des éléments et davantage de canaux de diffusion. Autant dire : on sait davantage.

La désinhibition ne me paraît pas plus flagrante qu'auparavant : les tempêtes de Chirac ou Marchais sont restées célèbres.

01 octobre, 2009 19:16  
Blogger Jean Véronis a écrit...

Enikao> Ah oui, j'oubliais le téléphone portable ! C'est vrai, cette disparition du "off". Elle est palpable maintenant dans les congrès, les couloirs de l'Assemblée... Les politiques fuient les perches, se tirent par la manche dès qu'ils en voient une : attention, "ils" sont là (les journalistes)...

Va-t-on le regretter ? Le "off" est une sorte de convention aristocratique. On sait, mais pour rester dans le cercle de la Cour, on se tait, sinon c'est le ban.

01 octobre, 2009 19:39  
Anonymous Jules (de diner'sr oom) a écrit...

En fait, Raymond Barre a fait état des "français innocents". Ce qui n'est pas moins choquant, convenons-en.

01 octobre, 2009 19:50  
Blogger Jean Véronis a écrit...

Jules> Oui, exact. Je citais de tête (pardon pour cette faiblesse, je n'ai pas eu le courage d'aller rechercher la phrase exacte). En fait c'est pire, quand on y réfléchit. Finalement les juifs étaient coupables. C'est un vieux leitmotiv. Ce qui est terrible c'est que Barre n'étaient probablement pas antisémite (pas mal de témoignages semblent aller dans ce sens) : il était juste imprégné du stéréotype ambiant au point que son inconscient a parlé...

01 octobre, 2009 19:56  
Anonymous lp a écrit...

Etonnant au sujet de feu Raymond: sa veuve Eva Barre, née Hegëdus, est d'origine juive hongroise...

01 octobre, 2009 20:33  
Blogger Jean Véronis a écrit...

Oui, je ne crois pas du tout qu'il ait été raciste ou antisémite. L'homme était plutôt un humaniste. Son inconscient a reflété le mauvais stéréotype ambiant...

01 octobre, 2009 20:59  
Blogger Unknown a écrit...

Je ne me considère pas comme mal informée, en général, mais alors LA, le doigt d'honneur de ce "con-là" comme disait Renaud, ça dépasse les bornes de l'imagination. J'ai donc été visualisé ça, et je constate qu'en plus, le lâche se cache derrière la table basse, pensant rester discret sans doute. Il n'a - en plus - pas le courage de ses opinions.
Pour un premier commentaire, je me dois de vous remercier pour vos analyses qu'en tant qu'ancienne étudiante en sciences du langage je trouve fort intéressantes !!

01 octobre, 2009 22:33  
Blogger Jean Véronis a écrit...

Merci, Nadège !

02 octobre, 2009 08:26  
Anonymous Anonyme a écrit...

Jean Véronis,
Sans doute les lapsus révèlent-ils un inconscient, mais je crois qu'il faut se garder d'interpréter trop vite, dans le sens que nous souhaiterions...
Pardon d'écrire sous anonymat, mais comme je ne suis pas douée, je n'ai pas réussi à inscrire mon identité... Mais c'est peut-être un acte manqué !

02 octobre, 2009 20:23  
Anonymous chiendent a écrit...

Très bon article, sans doute un peu trop gentil pour les politiciens. Que diantre ils pourraient un peu être au dessus du français moyen dans leur comportement. Ce que je ne comprend pas du tout c'est que l'on tolère cela et que l'on les élise ou pire réélise.

07 octobre, 2009 14:18  
Blogger Jean Véronis a écrit...

Merci Chiendent ! Je crois aussi qu'ils devraient être exemplaires. Surtout au sommet de l'Etat. Sinon ce n'est pas la peine qu'ils se plaignent de la délinquance, des incivilités, de la société qui fout le camp.

Comment voulez-vous qu'un prof de banlieue arrive à obtenir le respect quand le chef de l'Etat peut impunément donner du "casse-toi pauvre con" à ses interlocuteurs et ses ministres faire des doigts d'honneur aux caméras ?

Comment punir l'élève qui dira "case-toi pauvre conne" à sa prof en lui faisant un doigt ?

07 octobre, 2009 14:22  
Anonymous FrédéricLN a écrit...

@ Chiendent "Que diantre ils pourraient un peu être au dessus du français moyen dans leur comportement."

Ils sont, je crois, très au-dessus de ce que serait le comportement d'un Français moyen dans de telles circonstances - foules, caméras, effet de cour, questions insidieuses des journalistes dont le constant espoir est de leur faire proférer une méchanceté qui fera "la une".

Répondre aux journalistes, se prononcer en public dans un débat, c'est un art de funambule, bien peu en sont capables.

Je dis ça de façon générale - ça n'excuse en rien, par exemple, le doigt d'Eric Besson, qui n'était pas interviewé et ne se croyait pas filmé...

19 novembre, 2009 08:19  

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