Jean Véronis
Aix-en-Provence
(France)


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mercredi, janvier 02, 2008

Sarko: "Je" voeux

Nicolas Sarkozy n’est sans doute pas un grand amateur de la culture classique (souvenez-vous : «Vous avez le droit de faire littérature ancienne, mais le contribuable n’a pas forcément à payer vos études...», 20 Minutes, 15 avril 2007). Sinon, je me serais dit qu’avec sa séance de voeux de l’autre soir, il voulait illustrer l’étymologie du mot président. Le mot vient en effet de praesidere, formé de prae, « devant » (qui a donné pré-) et sedere, « être assis ». Le praesidens, c’était au départ celui qui avait le privilège, assis, de diriger les débats.

Car c’est peut-être la seule nouveauté de ces vœux. Le président était assis, contrairement à son prédécesseur, qui se dandidait d’un pied sur l’autre comme un héron derrière son pupitre... Nouveauté toute relative, d’ailleurs, car Nicolas Sarkozy renoue ainsi avec la vieille tradition des présidents délivrant leur voeux assis devant une table, de De Gaulle à Mitterrand. Je vous conseille vivement l’anthologie des voeux réalisée par l’INA : un vrai régal. Mes préférés : il y a 40 ans, les voeux de De Gaulle pour 1968. Il citait Verlaine : « La vie est là, simple et tranquille ». L’année en question n’allait être ni simple ni tranquille !




Cette année, le buzz élyséen nous avait fait espérer des merveilles, des voeux révolutionnaires, décalés. La rupture, quoi. Évidemment, on a eu du direct, au lieu de la petite bande enregistrée du père Chirac. Mais Nicolas Sarkozy lisait tout bonnement sur son prompteur un discours préparé à l’avance par son scribe favori. Pas d’improvisation. On reste dans le figé, même si l'on peut saluer au passage la performance d’acteur: je connais bien peu de gens capables de lire un texte aussi long sans bafouiller ou s’embrouiller quelque part. Il y a eu aussi l’incrustation avec la traduction en langue des signes. Bravo (pourquoi n’est-ce pas plus fréquent ?) !

Pour le reste, on a eu la même recette que d’habitude, ou à peu près (regardez les archives de l’INA !) : on se soucie des petits vieux qui sont seuls, de nos militaires qui ont la vie bien dure, et on nous promet des tas de choses. Mais, au-delà de ces poncifs, les mots peuvent nous jouer une petite musique subliminale par leur répétition. J’ai donc soumis le discours (ainsi que celui de Chirac l’an dernier) à mes humbles outils.

A part France, point de passage obligé, qui généralement le mot qui émerge de ce type de discours, le mot le plus répété dans le discours de Nicolas Sarkozy (hors mots-outils grammaticaux) était le mot urgence : « l’urgence à dépasser les vieux clivages partisans » (tiens, on dirait du Bayrou !), « l’urgence du pouvoir d’achat » (moui... mais on n’y croit plus guère !), etc.

Urgence il y a, donc. Sans doute urgence pour le président à satisfaire son propre ego. J’avais, dans de précédents billets [1, 2, 3] parlé de cet extraordinaire égotisme de Nicolas Sarkozy. En ce dernier jour de l’année 2007, il a explosé le compteur de « je » : 48 fois pour un peu plus de 1400 mots, soit environ 34 je pour 1000 mots. Jacques Chirac, l’année dernière, n’avait employé ce pronom que 14 fois, pour un discours de 1100 mots. Seulement un peu plus de 12 je pour 1000 mots. A l’aune de ce baromètre (certes un peu fruste), le nouveau président est presque trois fois plus égotiste que l’ancien...

J’ai enfin compris où était la rupture.


Bonne année à tous !


Voir aussi


16 Commentaires:

Anonymous Anonyme a écrit...

et pourtant...
"la répétition n'est pas un argument !"

02 janvier, 2008 23:04  
Anonymous Anonyme a écrit...

C'est vrai, le discours de voeux du nouvel an n'avait pas de quoi réveillé les morts. Par contre, j'attends avec impatience votre analyse de l'allocution de l'égotique Président de la République dans la salle de la signature du Palais de Latran, déjà analysé par certain comme « l’adoubement » de notre plus haut fonctionnaire au Vatican!



http://elysee.fr/documents/index.php?mode=cview&cat_id=7&press_id=819&lang=fr

03 janvier, 2008 06:21  
Blogger all a écrit...

Objection, votre honneur ! Égotisme est votre interprétation de la profusion du "je".
J'en dirais préférablement du volontarisme.

03 janvier, 2008 08:36  
Blogger Jean Véronis a écrit...

Alors coupons la poire en deux, All. Disons : expression du volontarisme !

Le volontarisme n'est pas une affaire de parole : pas besoin de dire "je" pour agir. D'ailleurs les hommes d'État les plus volontaristes dans les actes n'était pas égotistes dans les paroles. De Gaulle est celui des présidents de la Ve République qui utilisait le moins ce pronom. Et pourtant !

Mias sinon, je n'invente rien (cf TLF) :

ÉGOTISME, subst. masc.
A.− Disposition de celui ou de celle qui fait constamment référence à soi en particulier dans le discours.

03 janvier, 2008 08:45  
Blogger all a écrit...

D'accord pour la poire en deux : lions le sujet avec l'action qu'il commande et la pensée qu'il induit.
À compter les "je" et autres locutions on pourrait tomber dans le data mining et biaiser les discours.

03 janvier, 2008 10:01  
Blogger Jean Véronis a écrit...

Complètement d'accord, All. Le discours est inséparable de son contexte.

Mais, bon, j'attends : depuis mai on a eu beaucoup d'effets d'annonce, et de show médiatique, mais pas grand chose de concret. Une mini-réformette des régimes spéciaux (qu'on a peut-être laissé dégénérer un peu pour faire croire que l'affaire était grave, alors qu'elle était cousue d'avance avec un gros chèque à la clé), une mini-réformette des universités (avec rien dedans, mais qu'on a laissé un peu dégénérer aussi pour faire croire...), etc.

Bref. La grande rupture se fait un peu attendre...

03 janvier, 2008 10:07  
Anonymous Anonyme a écrit...

Prémonitoire cette citation de Verlaine lorsqu'on lit la suite du poème :
"Cette paisible rumeur-là
Vient de la ville.

--Qu'as-tu fait, ô toi que voilà
Pleurant sans cesse,
Dis, qu'as-tu fait, toi que voilà,
De ta jeunesse ?"

Le ciel est par dessus le moi !

03 janvier, 2008 11:08  
Blogger Vicnent a écrit...

pour la langue des signes : dans tous les meetings UMP, il y avait sur la droite de l'estrade une personne (en fait, souvent deux qui se relayaient toutes les 15 minutes) qui traduisait toute les interventions.

Dans ce discours, au formalisme obligé (On s'attendait à quoi ? A Nicolas en short/Tong dans le jardin ?), j'ai bien aimé l'idée d'une nouvelle Renaissance, avec un R majuscule. Ce qu'il en restera est déjà un autre débat...

03 janvier, 2008 11:44  
Blogger Jean Véronis a écrit...

LDS> "Cette paisible rumeur-là / Vient de la ville." Bien vu !

Et très beau poème, soit dit en passant. On a quand mêm eu de la chance d'avoir des présidents lettrés. Ce n'est pas le cas dans tous les pays (je pense à un certain Texan...). Et ça change peut-être même chez nous ;-)

03 janvier, 2008 11:53  
Blogger Jean Véronis a écrit...

Vicnent> Je ne sais pas moi. Peut-être Nico et Carla main dans la main sur le Nil ?

En fait, je trouve que la solennité sied à la fonction. Le reproche que je ferais plutôt à Sarko est d'en manquer souvent. Ce qui est marrant c'est plutôt le décalage avec le "buzz" de l'avant-voeux qui nous promettait une révolution...

Pour la LSF : oui, très bonne initiative de l'UMP (et d'autres) que de traduite les meetings. Mais il serait dommage que ça reste des images de campagne !

03 janvier, 2008 11:56  
Blogger all a écrit...

[Spéculation] Jean Véronis vous avez un biais centre gauche, comme beaucoup d'économistes et d'universitaires parait-il. Et pour cette raison, Bayrou et son ni droite ni gauche ne vous mettront jamais vraiment à l'aise.[/Spéculation]

03 janvier, 2008 13:16  
Blogger Jean Véronis a écrit...

Raté, All. Bien essayé, mais désolé, je ne suis pas (et n'ai jamais été) un mec "de gauche" (ni même centre gauche !). Mais j'en dis trop ;-)

03 janvier, 2008 13:23  
Anonymous Anonyme a écrit...

C'est B.Quemada, si je me rappelle bien, qui a constaté que le mot 'je' est celui qui est le plus fréquemment utilisé dans la langue française. Elle dispose même de deux mots pour exprimer cette notion : 'moi' et 'je', contrairement à l'anglais, l'allemand, l'italien, etc. Significatif?

03 janvier, 2008 15:17  
Anonymous Anonyme a écrit...

contrairement à l'anglais ?!
Et les "me, myself and I" alors ?

04 janvier, 2008 15:21  
Blogger Jean Véronis a écrit...

Beaucoup de langues ont une façon de renforcer le "je". En italien par exemple, onne met pas "je" (io) du tout en règle générale, et quand on le mets c'est pour dire quelque chose qui correspond à peu près à "moi je" (io parlo = moi je parle).

04 janvier, 2008 15:24  
Blogger Jadlat a écrit...

A propos du "je", j'ai été frappé (aïe), il y a deux ans quand j'ai fait un stage professionnel pour l'obtention d'un diplome universitaire (dess) que les enseignant nous demande de nous exprimer à la première personne alors que, il y a quelques années en arrière, pour un mémoire de maitrise, on nous demandait d'employer le "nous" emblématique de la communauté scientifique.

J'ai l'impression de retrouver ce "je"-là dans la parole de sarko, qui est le "je" du manager, car fondamentalement je pense que sarko est le symbole de l'entreprise tel qu'elle se rêve en France (et non telle qu'elle est). Il n'y a pas de critique de l'entrepreuneriat, ni de l'entrerprise merci ! mais une critique de son langage.

Je m'étais amusé à faire deux billet pour les anciens du dess cvir sur le "je".

Le premier "je" est celui du plaisir à sortir du formalisme que constitue le nous :
http://desscvir.canalblog.com/archives/2007/01/06/3611446.html#trackbacks

le second est sur l'expression "j'assume" qui me hérisse souvent le poil et qui symbolise bien, à mon avis, le "je" sarkozien
http://desscvir.canalblog.com/archives/2007/01/08/3632602.html

08 janvier, 2008 08:28  

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