Sarko: Moi, je (2)
Je disais hier (ici) que Nicolas Sarkozy n'utilisait finalement pas plus le pronom je que Ségolène Royal ou François Bayrou... Pourtant son discours paraît fortement autocentré — je ne suis pas le premier à le remarquer! Continuons donc l'enquête.
Tout d’abord, les personnes s’opposent et se contrastent les unes par rapport aux autres. Le je, qui marque l’implication personnelle de l’orateur, s’oppose au nous et au vous collectifs. La grammaire scolaire nous a appris qu’il y avait trois personnes en français (je, tu, il/elle) ou six (avec les pluriels nous, vous, ils/elles), mais cette division, morphologique, reflète mal les catégories conceptuelles de la communication. Je/nous/vous (le tu n’apparaît pas dans les discours) sont les personnes de l’interlocution, c’est-à-dire qu’elles mettent en prise directe l’orateur et ses auditeurs, tandis que il(s)/elle(s) représentent une personne tierce, une personne de délocution, hors du champ de la situation de communication que constitue l’acte de discours.
Si l’on prend en compte les proportions relatives de ces trois pronoms de l’interlocution, je, nous, vous chez les principaux candidats, l’image se modifie radicalement. Ainsi, par exemple, Ségolène Royal utilise je un peu plus souvent que Nicolas Sarkozy dans l’absolu, mais celui-ci utilise moins de verbes aux formes de l’interlocution. En revanche, lorsqu’il le fait, c’est le je qui est de très loin prépondérant. Le nous et le vous apparaissent peu dans son discours, et c’est certainement en très grande partie ce qui créé le sentiment d’égotisme qui se dégage de son discours. L’interlocution, c’est moi, pourrait-on dire dans son cas.
Je pourrais vous montrer des tableaux de chiffres, mais c'est peut-être plus parlant de visualiser ces affinités de façon graphique à l’aide d’une carte, par une méthode appelée analyse factorielle des correspondances (voir explication dans le livre de mes collègues Lebart et Salem cité-dessous et gratuitement téléchargeable).
En gros (en très gros...), plus les bulles sont grandes plus l'élément est fréquent ; plus elles sont proches, plus les éléments sont similaires.
On voit que Ségolène Royal se caractérise, quant à elle, non par l’utilisation du je, mais par celle du vous, ce qui correspond assez bien au côté « participatif » de sa campagne tandis que François Bayrou affectionne le nous, de façon quelque peu paradoxale, puisque le nous est souvent perçu dans l'inconscient collectif comme la forme prototypique du discours de gauche (« nous les travailleurs, les socialistes, les communistes, etc. »).
Enfin, Jean-Marie Le Pen se distingue à nouveau de ses concurrents, en n’utilisant qu’assez peu les personnes de l’interlocution. Il affectionne la délocution. Il parle des autres : le système, qu’il dénonce, ses concurrents, qui mentent, les Français (le « peuple ») qu’il fait parler à travers sa bouche...
Nous continuerons cette petite enquête demain avec un regard du côté des verbes, mais on voit en tout cas que l'on pourrait conclure un certain nombre de bêtises en prenant les résultats quantitatifs de façon trop superficielle. Le je est bien omniprésent dans le discours de Nicolas Sarkozy, à condition de regarder au bon endroit...
Tout d’abord, les personnes s’opposent et se contrastent les unes par rapport aux autres. Le je, qui marque l’implication personnelle de l’orateur, s’oppose au nous et au vous collectifs. La grammaire scolaire nous a appris qu’il y avait trois personnes en français (je, tu, il/elle) ou six (avec les pluriels nous, vous, ils/elles), mais cette division, morphologique, reflète mal les catégories conceptuelles de la communication. Je/nous/vous (le tu n’apparaît pas dans les discours) sont les personnes de l’interlocution, c’est-à-dire qu’elles mettent en prise directe l’orateur et ses auditeurs, tandis que il(s)/elle(s) représentent une personne tierce, une personne de délocution, hors du champ de la situation de communication que constitue l’acte de discours.
Si l’on prend en compte les proportions relatives de ces trois pronoms de l’interlocution, je, nous, vous chez les principaux candidats, l’image se modifie radicalement. Ainsi, par exemple, Ségolène Royal utilise je un peu plus souvent que Nicolas Sarkozy dans l’absolu, mais celui-ci utilise moins de verbes aux formes de l’interlocution. En revanche, lorsqu’il le fait, c’est le je qui est de très loin prépondérant. Le nous et le vous apparaissent peu dans son discours, et c’est certainement en très grande partie ce qui créé le sentiment d’égotisme qui se dégage de son discours. L’interlocution, c’est moi, pourrait-on dire dans son cas.
Je pourrais vous montrer des tableaux de chiffres, mais c'est peut-être plus parlant de visualiser ces affinités de façon graphique à l’aide d’une carte, par une méthode appelée analyse factorielle des correspondances (voir explication dans le livre de mes collègues Lebart et Salem cité-dessous et gratuitement téléchargeable).
En gros (en très gros...), plus les bulles sont grandes plus l'élément est fréquent ; plus elles sont proches, plus les éléments sont similaires.
On voit que Ségolène Royal se caractérise, quant à elle, non par l’utilisation du je, mais par celle du vous, ce qui correspond assez bien au côté « participatif » de sa campagne tandis que François Bayrou affectionne le nous, de façon quelque peu paradoxale, puisque le nous est souvent perçu dans l'inconscient collectif comme la forme prototypique du discours de gauche (« nous les travailleurs, les socialistes, les communistes, etc. »).
Enfin, Jean-Marie Le Pen se distingue à nouveau de ses concurrents, en n’utilisant qu’assez peu les personnes de l’interlocution. Il affectionne la délocution. Il parle des autres : le système, qu’il dénonce, ses concurrents, qui mentent, les Français (le « peuple ») qu’il fait parler à travers sa bouche...
Nous continuerons cette petite enquête demain avec un regard du côté des verbes, mais on voit en tout cas que l'on pourrait conclure un certain nombre de bêtises en prenant les résultats quantitatifs de façon trop superficielle. Le je est bien omniprésent dans le discours de Nicolas Sarkozy, à condition de regarder au bon endroit...
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Voir aussiPour en savoir plus
Lebart, L. & Salem, A. (1994). Statistique Textuelle, Dunod, 344 p. [Epuisé, mais gratuitement téléchargeable ici.]
16 Commentaires:
Bon, c'est une analyse très intéressante mais honnêtement je n'ai rien compris à votre graphique : comment le lit-on ? à quoi correspondent les abscisses/ordonnées ?
Ah voilà... C'est un peu le problème de ces cartes. C'est pour ça que je ne les utilise guère. je vais rajouter un semblant d'explication dans le texte.
Bravo ! Analyse très intéressante, qui met des chiffres sur des impressions inconscients (entre parenthèses, quelle machine que le cerveau, capable de parvenir intuitivement à ces conclusions, sans mesure aucune - mais c'est prouvé scientifiquement, maintenant !)
Avez-vous la possibilité de différencier entre les nous exclusifs ("nous autres") et inclusifs ("moi, nous et vous")? Est-ce qu'une majorité de nous opposables ne donnerait pas une tout autre teneur à un discours politique que le nous volontaire pour "vivre ensemble"?
JM> Malheureusement, on touche là aux limites de ce qu'on peut automatiser. Il faudrait aller voir à la main, ce qui est un travail de Titan (et encore, je ne suis pas sûr qu'on puisse décider à tout coup...).
Distinguer les "nous" est non seulement un travail de titan mais un travail quasi impossible. L'étendue du référé du "nous" est souvent indécidable. Par exemple dans un discours gouvernemental, le 'nous" peut renvoyer au gouvernement, au système politique, au peuple, à la nation, à la patrie, au monde occidental, à l'humanité, etc. L'ambiguité sert aussi au discours qui peut ainsi être entendu de plusieurs manières.
(Cf. Les déclarations gouvernementales belges, thèse de doctorat, Paris III, 1997, Jean-Claude Deroubaix)
Avez vous compté les "on", qui sont utilisé dans le langage courant que notre cher président affectionne tant ?
Rilax> Non, parce que le "on" = "nous" n'est pas utilisé dans les discours (assez formels tout de même). Mais il est vrai que Sarkozy l'affectionne à l'oral...
je découvre par le biais de rale blog... et j'adope. J'peux mettre un lien sur mon blog (qui n'a rien de très intéressant pour vous)?
Aussi, ne pas oublier que demain 04/10 c'est silence blog: "Free Burma"... enfin, évidemment, vous faites comme vou'l'voul'...
j'ai envoyé un commentaire sur le 1 et 2 et je ne le retrouve pas. S'est perdu en route ou j'ai pas bien manipulé la technique !
Bonjour,
l'analyse linguistique est intéressante. Mais je crois qu'il faut la pousser au risque de tomber dans la stratégie sous-jacente à ce même langage.
Le "Je" à côté du nous a pour habitude de fonder une autorité sur les masses ou la population. C'est simple me direz-vous mais tellement simple que souvent on oublie.
Deuxième point stratégique, j'usage du "je" a pour objectif de centrer sur un figure symbolique, en l'occurence le président, toutes opinions contraire. Que l'on soit pour ou contre, on va dire c'est Sarkozy. On en arrive finallement a surestimé don poids. En effet, en termes de rapport de force, le chef de l'Etat est le repsentant d'une structure, et de classes. D'ailleurs la notion de classe n'est jamais aussi pertinente que quand la droite gouverne, pour analyser leur idéologie en tout cas, comme mode d'agir. Ce qu'il faudrait, je crois, pour éviter ce piège, c'est agrandir un peu la perspective en voyant un peu les cibles, le principe de rerpésentativité. On peut même le faire à partir de l'analyse je crois. En effet, tout l'enjeu est de neutraliser le fait que le principe de représentativité de la majorité est complètement biaisé dans cette politique.
A +
Bonjour Mr Véronis,
Pensez-vous que "Je" et "Moi, je" aient la même signification dans un discours ? Les comptabilisez-vous ensemble ?
Parce qu'il me semble bien, à la lecture des discours, que "Moi, je" revient autant sinon plus que "Je" tout seul.
Françoise> Non, je n'ai pas compté les moi... Il faudrait d'ailleurs aussi inclure me, ma, mon, mes, mien,. Le pb avec les Moi, je c'est qui les rajoutait souvent en improvisant par rapport à la version écrite. Dans l'idéal, il faudrait tou reprendre et noter ce qu'il a vraiment dit. Dur, dur...
Quid des présidents précédents ? Ce serait intéressant de comparer... non ? :-)
Christophe> Aargh... Il faudrait que je recrute !
C'est vrai qu'on ne se rend pas vraiment compte du travail nécessaire pour arriver à ces analyses... Merci de les partager avec nous en tout cas !
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