Jean Véronis
Aix-en-Provence
(France)


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mardi, octobre 02, 2007

Sarko : Moi, je (1)

On m’a demandé de détailler ma chronique de l’autre jour sur Public Sénat. Pourquoi pas ? Le prolongement de la télé par le blog n’est peut-être pas inintéressant. Quoi qu’on fasse, la télé est toujours un format court par rapport au texte et à l’écrit. Je n’ai pas à me plaindre du temps accordé à ma chronique, 7 à 8 minutes, ce qui est plutôt long dans le genre, mais malgré tout, il est vrai que cela ne donne guère le loisir d’entrer dans les détails. Les voici donc.

Le point de départ de ma réflexion est l’ « hyperprésidence » de Nicolas Sarkozy, que l’on trouve décrite (ou dénoncée) un peu partout dans les médias —le Guardian le traitait même de « lapin Duracell » de la politique. Pour le linguiste, il est intéressant de savoir comment cette hyperprésidence se traduit dans le discours. On pense évidemment tout de suite à l’utilisation du pronom de la première personne... J’avais fait remarquer (ici) la présence intensive du pronom je dans son discours d’intronisation, le 14 janvier à la porte de Versailles. Ce jour-là, Nicolas Sarkozy était en forme : un je toutes les 17 secondes, un quart de ses phrases commençant par ce mot... La campagne est maintenant terminée, et nous pouvons faire des calculs et des comparaisons plus précis.

Sur l’ensemble de ses discours de campagne, Nicolas Sarkozy utilise le pronom je environ 17 fois pour 1000 mots. C’est beaucoup : le général de Gaulle, dont on a pourtant, à l’époque, beaucoup critiqué la vision personnelle du pouvoir, utilisait le pronom je environ 7 fois pour 1000 mots dans ses discours. Mais pour être tout à fait juste, il nous faut aller plus loin dans l’analyse. Mon collègue Damon Mayaffre (dont j’ai déjà parlé ici) a fait remarquer que le discours politique s’est fortement personnalisé dans les dernières décennies : Georges Pompidou utilise je 12 fois pour 1000 mots, Valéry Giscard d’Estaing 15 fois, et François Mitterrand bat tous les records d’égotisme avec 24 je pour 1000 mots, et même jusqu’à 26 dans la dernière année de son règne (1994-1995). Jacques Chirac revient à un niveau légèrement plus humble de 18 pour 1000. Mesuré à l’aune du pronom je, le narcissisme sarkozien est donc relatif.



Au demeurant, Ségolène Royal n’est pas en reste, puisque celle qu’on a parfois présentée comme la fille spirituelle de Mitterrand a utilisé je 18 fois pour 1000 mots pendant la campagne, battant donc d’une courte tête son rival. François Bayrou utilise lui aussi je environ 17 fois pour 1000 mots, c’est-à-dire à peu près autant que Nicolas Sarkozy. En comparaison, Jean-Marie Le Pen apparaît d’une incroyable modestie, puisqu’il utilise le pronom de la première personne seulement un peu plus de 4 fois pour 1000 mots, moins que le général de Gaulle et moins que les orateurs de la IIIe République. L’image du leader charismatique et le culte de la personnalité dont le président du Front national fait (faisait ?) l’objet ne se reflète donc pas, contrairement à ce qu’on pourrait penser, dans sa propre mise en avant dans ses propos, pas plus que le pouvoir personnel reproché au général de Gaulle ne s’illustrait dans les siens (là s’arrête évidemment la comparaison).



D’où vient alors cette impression d’égotisme extrême qui se dégage du discours de Nicolas Sarkozy, qu’ont notée la plupart des commentateurs ? Il nous faut pousser encore plus loin l’analyse, car les mots apparaissent rarement tout seuls, et l’impact que produit chacun dépend largement de son contexte et de ses voisins. Nous verrons dans la suite de ce billet que des facteurs cachés changent radicalement la donne...


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9 Commentaires:

Blogger François a écrit...

Argh! La suite! La suite! Je devine un peu, mais j'adore vous lire. D'autant plus que, n'ayant pas la télévision, je ne peux suivre vos chroniques sur Public Sénat. A bientôt.

02 octobre, 2007 09:33  
Anonymous Anonyme a écrit...

Vous êtes-vous intéressé à l'emploi du "nous" en lieu et place du "je" ? Mon impression est que certains politiciens en sont plus friands que les autres. Mais peut-être est-ce négligeable.

02 octobre, 2007 12:47  
Blogger Jean Véronis a écrit...

Anonyme> Eh eh... C'est justement le thème de la suite.

02 octobre, 2007 12:51  
Anonymous Anonyme a écrit...

Comment, cher Jean?
Des histogrammes sans explicitation de la valeur centrale représentée: est-ce une moyenne? une médiane? un mode?
Et pas de mention de la dispersion de cette valeur? Je suppose que vos bases de discours contiennent plus de 1000 mots par individu. Que cette valeur (quelle qu'elle soit) doit bien varier plus ou moins suivant vos échantillons de 1000 mots - ou me trompé-je complètement?
Sinon, comment dès lors, sans ces informations, peut-on comparer ces valeurs?

02 octobre, 2007 14:06  
Blogger Jean Véronis a écrit...

Fero> Il me semblait que la légende était claire : il s'agit des fréquences relatives pour 1000 mots. On pourrait ajouter de l'information sur la dispersion, écart-type ou autre, mais est-ce bien nécessaire dans le cadre d'un billet grand-public ? cette information n'amène d'ailleurs pas grand-chose dans ce cas précis.

02 octobre, 2007 14:16  
Anonymous Anonyme a écrit...

Bonjour,

merci beaucoup pour ce site extremement interessant ! Juste une petite remarque concernant Le Pen : peut-etre n'utilise-t-il pas "je" autant que les autres, mais il me semble qu'il lui arrive bien plus souvent que ses competiteurs de parler de lui a la troisieme personne. Ce qui est une mise en avant encore plus grande que s'il disait "je" a mon avis : serait-il possible de compter le nombre de "Le Pen" dans ses discours ?

Enfin si ca se trouve je me trompe completement...

07 novembre, 2007 20:51  
Anonymous Anonyme a écrit...

Moi, je
Bonjour,
Le journal belge "Le Soir" titre ce samedi 29-12-2007 en grand: "Moi, je..."
avant de consacrer les pages 2 et 3 à l'"égocratie".
On y compte combien de fois en une demi-heure Mme Milquet ou MM Di Rupo ou Reynders
commencent leurs phrases par les mots "moi je..."
Pour Ségolène Royal, ajoute le journal, qui je suppose s'est inspiré de votre blog, c'est toutes les 24 secondes que le " je " revient,
pour Sarkozy c'est toutes les 17 secondes.
Mais il n'y a pas que le monde politique qui souffre de cet égocentrisme.
Asseyez-vous à une table entre collègues ou dans un petit groupe dans une réunion-coktail.
Observez l'art de la conversation. Chacun coupe la parole à l'autre en commençant sa phrase par "moi je".
C'est cette observation que j'avais déjà faite de longue date qui m'a inspiré la chanson :
"moi je, moi je, moi je..." parue sur le CD "Best of Paul Bienbon Mens sana" interprété par Robert Delhauteur
sorti de presse le 8 septembre 2006
et dont les grands médias ont reçu un exemplaire par mon service de presse.
Si vous ne le possédez pas, il est encore très facile de vous le procurer ne serait-ce qu'en m'envoyant un mail en retour.
Dans la chanson, j'y glisse par ironie 83 fois en 3 minutes les mots "moi je...".
A vous offrir sans faute si vous connaissez quelqu'un souffrant de ce petit défaut...
Paul Bienbon
Tél 00 322.521.60.79.
Ci-dessous les paroles, pour votre édification .

Titre: Moi je, moi je, moi je…

paroles: Paul Bienbon A II 8911
musique + interprétation: Robert Delhauteur
extrait du CD "Best of Paul Bienbon Mens sana"
en vente 15 € notamment chez Disco 2000, 4 rue du formanoir à 1070 Bruxelles
ou chez l'auteur (00 322 521.60.79)

13.02.2006 n° Sabam 058852450

Moi je (8 fois)
Moi je me me
Moi je moi moi je me me
Moi je me je je
Moi je me moi moi
Moi moi.
Mon ego sum…
…Mon nombril…
…Mon nombril à moi…

Maman nous a appris
À écouter,
À nous donner pour vous
Telle autre nous a appris
Qu’on pouvait dire : « Vous » :
« Et vous, comment allez vous ?
« Que faites-vous ?
« Que devenez-vous ?
« Racontez-nous ! »

Moi je (6 fois)
Moi je moi moi
Je me moi je me me
Moi je moi moi
Je me me moi
Je me je je moi
Je me moi moi
Moi
Mon ego sum…
…Mon nombril…
…Mon nombril à moi…

Si le « moi » convient
Au théâtre, au cinéma
Dans le roman, dans la chanson
Il doit s’effacer
Dans la vie et la conversation
Au profit du vous
Au profit du vous.

Moi je (6 fois)
Moi je moi moi
Je me moi je me me
Moi je moi moi je me me
Moi je me je je
Moi je me moi moi
Moi.
Mon ego sum…
…Mon nombril…
…Mon nombril à moi…

Si le « moi » convient
Au théâtre, au cinéma
Dans le roman, dans la chanson
Il doit s’effacer
Dans la vie et la conversation
Au profit du vous
Au profit du vous.

Moi je (6 fois)
Moi je moi moi
Je me moi je me me
Moi je moi moi je me me
Moi je me moi je je
Moi je me moi moi
Mon ego sum…
…Mon nombril…
…Mon nombril à moi.

Écouter et donner sa vie pour vous...

31 décembre, 2007 18:42  
Anonymous Anonyme a écrit...

A propos de la rhétorique de Sarkozy une nouvelle analyse - lire ici :
http://comingoust.canalblog.com/archives/2008/02/10/7899501.html

A bientot...

10 février, 2008 18:04  
Anonymous didi-lapierre a écrit...

Interessant ces "études" mais il me semble que les rois disaient "NOUS" et que ça n'empéchait pas leur pouvoir absolu. Et se cacher derniere la volonté supposée d'un groupe ou d'un comité pour faire croire à une puissance plus démocratique par l'expression collective, ne dispense pas d'avoir influencé l'ensemble du groupe. On l'a vu avec Mitterand au congrès où il a pris le pouvoir du parti socialiste, on le voyait dans la lutte des partis pour la présidence du conseil (3eme puis 4eme rep.) et la présidence (lire les mémoires de Vincent Auriol, c'est édifiant). La somme de présence du mot "reve" ou révé, dans une période doit aussi se mesurer au rapport du nombre de mots total d'un discours, voir nombre de discours contenant le mot par rapport aux autres sur la même période.

25 décembre, 2011 19:51  

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