Jean Véronis
Aix-en-Provence
(France)


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jeudi, juin 14, 2007

Mots ribonds: Farfelu

On me demandait hier en commentaire si l’on peut faire revivre des mots ribonds. Pour nous, simples mortels, c’est sans doute difficile. Nous pouvons tenter d’en émailler nos conversations, mais, outre que nous apparaîtrons légèrement farfelus, pour ne pas dire pire, aux oreilles de nos amis, il y a de grandes chances que la dissémination de ces espèces ressuscitées n’aille guère plus loin que notre jardin.

Il n’en va pas ainsi quand il s’agit des grands de ce monde, des princes, des artistes ou des écrivains. J’en ai parlé il y a quelque temps à propos d’abracadabrantesque, ressuscité par Chirac, et de chienlit, ressuscité par de Gaulle.

Le cerveau humain est un voyageur aux mille ruses, et comme je me couchais en vagabondant dans ces eaux lexicales étranges, il m’est revenu en tête une phrase de Jacques Chirac lors du transfert des cendres de Malraux au Panthéon en 1996. J’avais écouté la cérémonie religieusement, car j’ai une grande admiration, fascination, même, pour le personnage (Malraux, s’entend), et je me souviens de cette étrange exclamation du président : « Vous avez été le Farfelu ! ». Et de citer une phrase du grand homme : « Nous ne savons pas ressusciter les corps, mais nous commençons à savoir ressusciter les rêves ».



Malraux a su, manifestement, ressusciter un mot. Car ce mot farfelu, qui nous paraît aujourd'hui si naturel et si familier, n’existait plus au début du XXè siècle. C’est Malraux qui l’a remis au goût du jour dans Lunes en papier (1921), en lui donnant, d’ailleurs, un sens différent de son sens ancien. Il réitère, en publiant Royaume Farfelu en 1928. Ses premières œuvres naviguent dans l’insolite, l’étrange, dérisoire et parodique. Il en fait même un genre littéraire : le « farfelu ».

Le mot est sans doute une déformation du bas latin famfaluca, du grec pompholux, bulle d'air. Dans son sens originel il était synonyme de « rond, rebondi, dodu ». Malraux l’a sans doute découvert chez Rabelais. Souvenez-vous. Dans le Quart livre des faicts et dicts héroïques du bon Pantagruel, le roi Quaresmeprenant, qui règne sur l’île de Tapinois, mène une guerre sempiternelle contre l’île Farouche, dominée par ses ennemies mortelles, les « Andouilles farfelues » :



Pourquoi Malraux en a-t-il fait un synonyme de bizarre, insolite, saugrenu ? Mystère. Peut-être un rapprochement avec fanfreluche (qui a la même étymologie), une contamination de farfadet, de faribole ? En tout cas, c'est le sens de Malraux que le XXè siècle a retenu, pour notre plus grand plaisir.

20 Commentaires:

Anonymous Anonyme a écrit...

Le rapprochement entre termes ou acceptions des différentes langues latines est souvent intéressant (quoique pas toujours: convergences, faux-amis sont légion... ), d'ailleurs en général entre des niveaux de langage non équivalent (argots, technique, dialectes... exemple il faut aller chercher la corde de funambule dans la fune, corde d'attache de navire en dialecte napolitain). Je me demandais donc en vous lisant (avec l'habituelle gourmandise) s'il pouvait exister un rapport entre Farfelu et Farfalla ? (fée en italien).
Je me laisse guider par la seule sonorité et l'idée de fantaisie, ce qui n'est je l'avoue guère scientifique (la consonne double L est sonnante en ialien moderne et méridional, elle est simple : far / fa /la avec un a à tendance longue sur le fa en italien du nord (gaulois) je me demande donc au passage où sont les voyelles longues et accentuées dans famfaluca et pompholux).

14 juin, 2007 15:27  
Blogger Matthieu a écrit...

Excellent ! Je ne savais pas que c'etait Malraux qui avait remis ce mot, maintenant commun, au gout du jour. Ou plutot, qu'il a invente ce mot, en lui donnant le sens qu'il voulait !

Je passe sur votre site pour vous demander si vous avez remarque l'emploi de plus en plus frequent, jusqu'au point d'enervement, de l'expression "issu de la diversite". L'expression politiquement correcte pour dire un candidat noir, arabe, deuxieme ou troisieme generation, issu de l'immigration, etc. Ce n'est pas que l'expression en elle-meme me deplaise, quoiqu'elle est discutable (il n'y a pas de diversite parmi les blancs ?), mais c'est son emploi fige qui me choque. Cet article du Monde atteint des sommets.

14 juin, 2007 16:13  
Blogger Jean Véronis a écrit...

Archeo> Oui, farfalla, le papillon, la fée (... et de bien bonnes pâtes). Aussi farfarello, le démon.

C'est une hypothèse qui est dans le TLF. Mais je doute que Rabelais ait fait cette analogie (comme d'ailleurs avec farfadet, faribole...), vu qu'il n'utilise pas le mot dans son sens merveilleux, bizarre, mais comme équivalent de dodu...

C'est peut-être quelque chose qui a influencé Malraux. Je ne sais pas s'il s'en est expliqué quelque part.

14 juin, 2007 18:15  
Anonymous Anonyme a écrit...

Et que dire également de cette expression revenue en force chez nos "djeun's" : "c'est ballot" ... qui avait tout pour être oubliée.

14 juin, 2007 19:55  
Anonymous Anonyme a écrit...

j'ai entendu un de mes proches (de Paris certes) quasi sexagénaire utiliser relativement souvent avec un petit air décalé "c'est ballot" depuis un ou deux ans seulement il est vrai

14 juin, 2007 21:56  
Blogger Jean Véronis a écrit...

En période de ballotage, c'est de circonstance...

Il me semble que c'est un humoriste qui a remis ça au goût du jour dans ses sketches. Bigard ? Enfin, un gros lourd dans le genre. Si quelqu'un peut confirmer dans la salle (je manque un peu de culture dans ce rayon)...

14 juin, 2007 22:01  
Anonymous Anonyme a écrit...

Je confirme, Bigard l'a bien utilisé dans un de ses sketchs -celui sur la valise RTL- et c'est bien possible que ce soit lui qui ait remis l'expression au goût du jour puisque j'utilise moi même l'expression depuis que j'ai vu ce sketch.

14 juin, 2007 23:18  
Anonymous Anonyme a écrit...

Connais mal Bigard et ses sketchs, mais suis plus habitué aux commentaires footballistiques de Thierry Roland, grand spécialiste international du "c'est ballot" depuis fort longtemps je pense...

14 juin, 2007 23:48  
Anonymous Anonyme a écrit...

Effectivement, il me semble aussi que l'expression "c'est ballot" ait connu un regain de jeunesse grâce à Bigard, quant au ballottage, bien de saison, ce n'est qu'un lointain cousin du premier, puisque ballottage désignait l'action de voter avec des ballottes avant de prendre plus récemment le sens que nous lui connaissons aujourd'hui.

15 juin, 2007 00:12  
Anonymous Anonyme a écrit...

On peut revenir un instant sur farfelu et explorer un peu cette famille du grec pompholyx dont il serait issu. On y trouve un mot assez proche qui a vécu jusqu'au 18e, fanfelue "bagatelle, niaiserie", ainsi que fanfreluche, comme vous l'avez cité, mais également freluquet "homme frivole et sans mérite" (qui pourrait sans contexte être remis à l'honneur, par les temps qui courent ...). Enfin, d'après notre FEW préféré (livre de chevet du lexicographe s'il en est), hurluberlu, dont les sens sont très proches, serait de la même famille que farfelu.

15 juin, 2007 00:20  
Blogger Jean Véronis a écrit...

En tout cas, dimanche, il y en a qui vont prendre les boules...

15 juin, 2007 00:21  
Blogger Unknown a écrit...

Bonjour,

Très intéressant, ce farfelu.

Je ne peux m'empêcher de faire aussi le lien avec les frôlements d'ailes des "farfalle" et "farlallini".

Mais pourquoi mon mono-dictionnaire d'italien traduit-il "farfallone" par "boulette" ?

S'agirait-il de l'accompagnement des pâtes, ou du sens rabelaisien ?

Et peut-on traduire l'apostrophe de Figaro à Chérubin
dans "les Noces de Figaro" :

"Non più andrai, farfallone amoroso..."
par : "Tu n'iras plus, boulette (ou ballot) amoureux..."

Pourquoi diable Da Ponte n'a-t-il pas écrit "farfallino" ?

15 juin, 2007 14:38  
Blogger Unknown a écrit...

C'était un lapsus et non un jeu de mots douteux : je voulais écrire "mon mini-dictionnaire", naturellement.
Etonnant, non ?

15 juin, 2007 16:50  
Anonymous Anonyme a écrit...

farfadet, farfelu, farfouille.

Quel bonheur de te lire.

christophe

16 juin, 2007 22:06  
Anonymous Anonyme a écrit...

j'ai du mal à comprendre qu'on puisse avoir de l'admiration puor Malraux, écrivain devenu illisible aujourd'hui et qui aura été oublié dans moins de 50 ans, personnage détestable, voleur, mythomane et qui s'est en grande partie inventé son destin pendant la guerre d'Espagne - seul élément qui justifierait qu'on puisse l'admirer.... avec le "sauvetage" d'Angkor s'il n'en avait pas été aussi le premier pilleur.
Je conçois mieux la fascination exercée par un destin exceptionnel, destin entièrement fabriqué par un homme globalement peu intéressant mais qui est arrivé très très haut, en ayant fait croire qu'il avait les qualités qui justifiaient sa position au sommet - qualités dont il était en fait dépourvu.
Comme Mitterrand, en fait... (voire Chirac, sauf que pour celui-ci personne n'est dupe du fait qu'il n'avait aucune des qualités pour exercer la fonction).
Mais pour en revenir à farfelu, je me demande si Malraux s'est trompé, justement par contamination, comme vous dites, ou s'il a volontairement transformé le sens...

17 juin, 2007 10:26  
Anonymous Anonyme a écrit...

Peut-être parce que les andouilles sont farfelues? Peut-être que les andouilles lui évoquaient quelque chose de bizarre et saugrenu?

18 juin, 2007 00:58  
Blogger Gabriel Kastenbaum a écrit...

Et le mot "daron"? complètement oublié depuis LF Céline, complètement zappé de la pratique, et pourtant il est réapparu il y a quelques années, dans le parlé des banlieues...

Etonnant, non?

21 juin, 2007 08:51  
Blogger Jean Véronis a écrit...

Gabriel> Oui, c'est très étonnant. Les djzeunes disent aussi le "dar". Pour les lecteurs qui ne sont pas au courant, ça veut dire "le père" (et daronne, "la mère"). Le mot remonte au moins au XVIIè siècle, et effectivement, je n'en vois pas bien d'autre exemple que dans Celine (dans "Mort à crédit", je crois ?)...

Très bizarre qu'il ait ressuscité dans les banlieues. La première fois que je l'ai noté c'est dans la chanson de Freeman/Khaled, "Bladi" (le Bled). 1999? 2000? "kho nif respect fierté jamais j'changerai ma peau marron le daron là-bas moi au milieu d'un baron". Je serai vraiment curieux de connaître le parcours souterrain de ce mot !

21 juin, 2007 10:00  
Anonymous Anonyme a écrit...

Il figure aussi dans le dictionnaire d'Albert Simonin "le Petit Simonin illustré" (1957), et dans ses livres. Il faudrait aussi vérifier chez Audiard...

31 août, 2007 21:58  
Anonymous Anonyme a écrit...

Idem pour "thune", qui nous arrive du XVIIe avant d'avoir été popularisé au XIXe siècle où il désignait les grosses pièces de 5 francs.

06 septembre, 2007 23:52  

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