Mots ribonds: Une présidence abracadabrantesque
Les rois de France avaient le don de guérir les écrouelles, nos présidents ont peut-être celui de faire revivre les mots… Je parlais avant-hier des mots en voie d’extinction, presque oubliés par tous, et qui ne vivotent plus que dans quelques recoins régionaux, ou sous la plume de quelques romanciers érudits. Qu’un personnage important arrive et souffle sur les braises, les mots oubliés peuvent renaître de leurs cendres.
On se souvient que Charles de Gaulle s’était exclamé en mai 1968 : « La réforme oui, la chienlit, non ! ». C’était le 19 mai, lors d’une entrevue entre le Général et quelques-uns de ses ministres, dont le premier d’entre eux, Georges Pompidou, qui a rapporté cette phrase aux journalistes à sa sortie de l’Élysée (voir vidéo sur le site de l'INA). A ma connaissance, il n’y a aucun enregistrement de cette réunion, et donc de la formule du Général (elle n'a pas été lancée lors de l’allocution télévisée du Général le 24 mai, comme le prétend Wikipedia [màj : hop, c'est corrigé, belle réactivité !] ).
Dans les rédactions, on a ouvert les dictionnaires… La chienlit ? Plus grand monde ne connaissait ce mot. Au féminin, il désigne une danse de carnaval, une mascarade désordonnée, tumultueuse. Petite anecdote : le mot était masculin au départ, littéralement chie-en-lit, « celui qui chie au lit ». Le premier exemple qu’on en connaisse se situe chez Rabelais, dans Gargantua, dans un beau chapelet d’insultes dont les fouaciers (marchands de fouaces, c’est-à-dire des sortes de galettes de froment) abreuvent les bergers :
Je vous le donne en version moderne :
Le chienlit a ensuite désigné au XVIIIè siècle un personnage de carnaval, et puis, passant au féminin, une mascarade carnavalesque et débridée. Assez approprié pour mai 68 !
A peine les télés et les journaux avaient-ils diffusé la fameuse phrase du Général, que les manifestants descendaient dans la rue en scandant « La chienlit, c’est lui ! ». Et des affiches étaient sérigraphiées à la hâte pour être placardées un peu partout dans Paris :
De la même façon, à chaque fois que Chirac fait une bourde, on lui ressort le mot abracadabrantesque… Par exemple, juste après sa fameuse promulgation-abrogation au moment de la contestation du CPE, le 31 mars 2006. Allocution abracadabratesque ! L'expression était partout sur le Web et l'aiguille de mon chronologue s'était affolée :
Je ne vais pas insister trop sur les mensonges, revirements et palinodies qui ont caractérisé la carrière politique de Jacques Chirac. On en a fait des livres et des films. Mais, finalement, si je devais retenir un mot qui caractérise son passage à l'Élysée, c'est bien celui-là : une présidence abracadabrantesque...
On se souvient que Charles de Gaulle s’était exclamé en mai 1968 : « La réforme oui, la chienlit, non ! ». C’était le 19 mai, lors d’une entrevue entre le Général et quelques-uns de ses ministres, dont le premier d’entre eux, Georges Pompidou, qui a rapporté cette phrase aux journalistes à sa sortie de l’Élysée (voir vidéo sur le site de l'INA). A ma connaissance, il n’y a aucun enregistrement de cette réunion, et donc de la formule du Général (elle n'a pas été lancée lors de l’allocution télévisée du Général le 24 mai, comme le prétend Wikipedia [màj : hop, c'est corrigé, belle réactivité !] ).
Dans les rédactions, on a ouvert les dictionnaires… La chienlit ? Plus grand monde ne connaissait ce mot. Au féminin, il désigne une danse de carnaval, une mascarade désordonnée, tumultueuse. Petite anecdote : le mot était masculin au départ, littéralement chie-en-lit, « celui qui chie au lit ». Le premier exemple qu’on en connaisse se situe chez Rabelais, dans Gargantua, dans un beau chapelet d’insultes dont les fouaciers (marchands de fouaces, c’est-à-dire des sortes de galettes de froment) abreuvent les bergers :
Je vous le donne en version moderne :
Les fouaciers ne condescendirent nullement à satisfaire leur demande [les bergers voulaient acheter quelques fouaces] et, ce qui est pire, les insultèrent gravement en les traitant de trop babillards, de brèche-dents, de jolis rouquins, de mauvais plaisants, de chie-en-lit, de croquants, de faux-jetons, de fainéants, de goinfres, de gueulards, de vantards, de vauriens, de rustres, de casse-pieds, de pique-assiette, de matamores, de fines braguettes, de mordants, de tire-flemme, de malotrus, de lourdauds, de nigauds, de marauds, de corniauds, de farceurs, de claque-dents, de bouviers d'étrons, de bergers de merde, et autres épithètes diffamatoires de même farine. Ils ajoutèrent qu'ils n'étaient pas dignes de manger de ces belles fouaces et qu'ils devraient se contenter de gros pain bis et de tourte.Le capitaine Haddock est un enfant de chœur à côté de ça...
Le chienlit a ensuite désigné au XVIIIè siècle un personnage de carnaval, et puis, passant au féminin, une mascarade carnavalesque et débridée. Assez approprié pour mai 68 !
*
Jacques Chirac a le même don de revitalisation des mots. On lui doit la résurrection du mot abracadabrantesque. Vous vous en souvenez sans doute. Le 21 septembre 2000, au moment de l’affaire de la cassette Méry, liée aux financements occultes du RPR, Jacques Chirac est l’invité d'Elise Lucet sur France 3 :Ma réaction : je suis indigné. Indigné par le procédé. Indigné par le mensonge. Indigné par l'outrance. Mme Lucet, il doit y avoir des limites à la calomnie. Hier, on faisait circuler une rumeur fantaisiste sur une grave maladie qui m'aurait atteinte —sous-entendu je ne serais plus capable d'assumer mes fonctions. Aujourd'hui, on rapporte une histoire abracadabrantesque. On fait parler un homme mort il y a plus d'un an. On disserte sur des faits invraisemblables qui auraient eu lieu il y a plus de quatorze ans.Grand émoi à nouveau dans les rédactions, on ouvre les dictionnaires… On ne sait pas très bien ce que le mot veut dire, mais il rime avec burlesque, grotesque, clownesque… Il provient en fait d’un poème d’Arthur Rimbaud (Le cœur supplicié, 1871) :
Ô flots abracadabrantesques,Il paraît que c’est Dominique de Villepin, alors Secrétaire Général de l’Elysée et poète à ses heures, qui le lui aurait soufflé. Heureusement qu’il nous a épargné ithyphalliques et pioupiesques…
Prenez mon cœur, qu'il soit sauvé!
Ithyphalliques et pioupiesques,
Leurs insultes l'ont dépravé.
*
Ce qui est amusant, c’est que dans les deux cas, de Gaulle et Chirac, les mots ressuscités ont été immédiatement utilisés contre eux, selon le principe universel de l’arroseur arrosé.A peine les télés et les journaux avaient-ils diffusé la fameuse phrase du Général, que les manifestants descendaient dans la rue en scandant « La chienlit, c’est lui ! ». Et des affiches étaient sérigraphiées à la hâte pour être placardées un peu partout dans Paris :
De la même façon, à chaque fois que Chirac fait une bourde, on lui ressort le mot abracadabrantesque… Par exemple, juste après sa fameuse promulgation-abrogation au moment de la contestation du CPE, le 31 mars 2006. Allocution abracadabratesque ! L'expression était partout sur le Web et l'aiguille de mon chronologue s'était affolée :
Je ne vais pas insister trop sur les mensonges, revirements et palinodies qui ont caractérisé la carrière politique de Jacques Chirac. On en a fait des livres et des films. Mais, finalement, si je devais retenir un mot qui caractérise son passage à l'Élysée, c'est bien celui-là : une présidence abracadabrantesque...
A suivre
- La suite demain matin chez Colombe Schneck (10h30 à 11h, France Inter, J'ai mes sources). L'émission est rediffusée sur le Web et en podcast (ici).
- Je vous ferai aussi un petit coucou matinal dans i-Media sur la chaîne i-Télé, jeudi matin de 9h15 à 9h30 (rediffusion à 14h15).
32 Commentaires:
Décidément, Colombe et vous...entre inter et itélé
Ce matin Miss Parisot (la "patronne des patrons") nous a sorti un "fumasse" dont elle a avoué dans la foulée qu'elle n'était pas trop sure du sens.
Il n'empêche qu'il faut être très pro pour arriver à dire "abracadabrantesque" en direct à la télé sans bafouiller...
Adieu le pro
Bonjour chez vous
Jean Meyran
Comment on fait naître une rumeur... ;-)
Un peu fumeuse, la Lolo... A moins qu'elle ait un peu fumé ?
Il me semble que la phrase exacte était "on disserte sur des faits invraisemblables, qui ont eu lieu il y a plus de quatorze ans"
Ce qui rendait la chose assez caustique !
En vérifiant sur le net je trouve les 2 phrases, impossible de mettre la main sur une vidéo pour trancher.
Effectivement ! J'ai pris la transcription sur le site de l'Elysée. Elle a peut-être été un peu retouchée...
Juste une question à propos de votre transcription de Montaigne :
vous transcrivez "Tropditeulx" par "Babillards". Il me semblait que ce dernier mot était un terme utilisé par les Quebecois ; est-ce un mot encore actif dans le français "de France" ?
Laurent.
En ce qui concerne les inexactitudes de Wikipedia sur l'allocution de De Gaulle, je vous invite à les rectifier si vous avez des sources. Wikipedia est faite pour cela !
Si je puis de permettre, vous parlez d'arroseur arrosé, mais en réalité l'emploi de ce mot peu courant lui a sauvé la mise : tous les journaux n'ont plus parlé que de l'expression utilisée (abracadabrantesque), et plus du tout du fond du problème (la culpabilité de Chirac).
De l'art de la rhétorique, ou comment diffuser des écrans de fumée pour noyer le poisson. Astuce qui figure dans tous les bons manuels de stratégie...
Pour le mot babillard, au Québec, il désigne un tableau d'affichage pour les petites annonces...
Quant à fouace, il existe dans le sud des fougaces qui ont l'air d'avoir plus qu'un air de ressemblance... Sont-ce les mêmes choses?
Laurence Parisot a pourtant raison sur l'usage de fumasse, même s'il est plutôt argotique :
http://patrimoine.gadz.org/argadz/argadz_f.htm
oui, comme Tigroin, je m'étonne que vous n'ayiez pas corrigé vous-même sur Wikipedia???
quel est le lien exact de la page?
Vous avez dit : "Un peu fumeuse, la Lolo... A moins qu'elle ait un peu fumé ?"
Pour vérifier laquelle des deux propositions semble avoir la préférence des Français, je propose d'organiser un sondage... que l'on confiera à l'IFOP, bien entendu ;-)
(Je rappelle aux distraits que le PDG d'IFOP est ladite Laurence PARISOT)
La palinodie, c'est lui !
La palinodie, c'est lui !
Merci pour ce nouveau mot, Monsieur le Président... :D
En tout cas, Chirac aura vraiment bien fait son travail, je connaissais parfaitement ce mot !
moi j'aime beaucoup malotrux, boyers detron et bergiers de merde, pas du tout politiquement correct.
Parler d'abcadabrantesque, c'etait a l'époque, ne pas parler du fond.
Au passage, merci M Véronis pour vos analyses souvent trés lumineuses
Miterrand ne pouvait pas passer sans laisser aussi son mot qui intrigue les rédactions.
C'était "Volapük", un langage universel façon esperanto
Claude> Oui, fouace, fougasse (et foccacia en italien), ça vient de focus, le foyer, en latin. C'étaient des galettes de froment (de pâte non levée si mes souvenirs sont bons, mais je peux me tromper) cuites sous la cendre.
Anonyme> babillard -- ce n'est pas moi qui ait traduit, c'est l'une des éditions modernisées qu'on sert dans les écoles.
Je présume que babillard est connu de pas mal de gens, mais plutôt comme adjectif, peut-être. Je ne l'empoierais guère que dans des contextes littéraires: une source babillarde, etc.
Mais le verbe babiller me paraît très actif. Je l'emploierais sans aucun problème, peut-être de façon restreinte à l'enfant qui babille...
Jean & Jmdesp> je ne sais pas ce que Lolo voulait dire, mais pour moi, être fumasse c'est effectivement être en colère, comme le lien l'indique.
Tigroin> Oui, je sais, il faudrait que je prenne deux minutes pour corriger... J'étais un peu à la bourre à la fin de mon billet pour aller prendre mon tgv !
@ Laurent Anonyme: ne pas confondre Montaigne et Rabelais!
@ politiful people: non c'est encore le grand charles cf : http://www.ina.fr/archivespourtous/index.php?vue=notice&id_notice=I00012375
@ Benoît : avec un Y, Palynodie était aussi le nom du fort beau voilier de course de Gaston Deferre député maire socialiste de Marseille, racheté ensuite par les Glénans.
abracadabrantesque ne me paraît pas si recherché que ça, d'autant qu'il est construit sur le radical abracadabra qui donne abracadabrant qui sont tous les deux très actifs...
En revanche, son utilisation comme rideau de fumée face à des accusations me paraît être un tour de passe-passe assez proche du sens originel d'abracadabrant - ce qui est une forme d'auto-référence assez croustillante et croquignoles ;)
politiful people> Je croyais avoir répondu, mais mon message ne s'est pas enregistré. Le volapük, c'est aussi de Gaulle, en mai 1962. Il critiquait l'Europe et son jargon. De Gaulle était très prolixe: le quarteron de généraux, les politichiens, etc.
Justement en écrivant ce billet, je me suis demandé quels mots curieux restaient de Pompidou, Giscard, Mitterrand... Il ne m'en est pas venu.
En ce qui concerne l'interview de Chirac on peut l'écouter ici : http://www.radiofrance.fr/listen.php?file=/documentation/210900b.ra
C'est presque un aveu, et la version du site de l'Elysée a donc été remaniée !
Gavilan> oops, je n'avais pas vu la réponse sur le volapük.
Pourquoi un Y dans le nom du bateau, je ne sais pas... Pour faire joli sans doute, parce qu'en grec c'était un iota et donc pas de raison d'en faire un Y. Pour la petite histoire palinodie c'est palin = à l'envers + ôdê = chant. En gros c'était un poème dans lequel on disait le contraire du poème précédent, ou du moins que l'on chantait sur un ton différent. Même étymologie que palindrome (mot comme KAYAK que l'on peut lire à l'envers).
du 'fumasses' encore ici.
la mégamode ce mot...
Quelles sont belles les ligatures (sur le document numérisé)… Ah ! la typographie d'hier…
Abracadabrantesque oui !
Dans le genre de lapsus il y a aussi Juppé qui lors de cette même affaire avait sorti une phrase du genre " si l'on remue la merde, ça finit toujours par sentir "...
Etrange défense !
Si j'étais paranoïaque, je me demanderais si ce n'est pas pour se donner un côté "poète", ce néologisme de Mme Parisot...En même temps, je ne vois pas l'intérêt qu'elle y trouverait...
...De quoi j'me mêle moi... ;p
Mitterand avait obtenu un effet similaire en lançant 'le programme commun est forclos'. C'est un terme juridique mais je ne sais pas s'il est encore utilisé dans ce domaine spécifique.
Dans l'extrait audio, je crois entendre "LE chienlit, c'est lui!"... Est-ce une hallucination sonore de ma part? Un refus du féminin? Autre chose?
L'enregistrement n'est pas très bon. Je me souviens de ces manifs (dans lesquelles j'ai défilé comme jeune lycéen). On criait bien LA chienlit.
c'est a mourir de rire
"jolie rouquin" quel insulte!!!!!!
"foccacia en italien"
Non : focaccia.
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