Lexique: Président(e)
Le futur probable président de la France qui se lève tôt et qui veut vivre debout sait-il que ce titre désigne celui qui reste assis ? Président vient de praesidere, formé de prae, « devant » (qui a donné pré-) et sedere, « être assis ». Le président, c’est celui qui, assis sur son séant, dirige la séance. Une image très IVè République. Mais l’étymologie est bien celle-là : le praesidens était au départ celui qui était assis devant l’assemblée, qui en dirigeait les débats. Le verbe sedere nous a donné, par des chemins divers, tout un tas de mots en français, dont on ne sait pas toujours qu’ils sont apparentés : seoir, messeoir, surseoir, asseoir ; siège, siéger ; séance, préséance ; séant…
Si le résultat est celui qui semble se dessiner, les Français se seront épargné un débat linguistique intéressant… Aurait-on dit «Madame le président de la République» ou bien «Madame la présidente» ? Nous avons entendu tellement souvent ce mot de présidente pendant la campagne qu’il nous semble acquis, mais c’est aller un peu vite en besogne.
Pendant bien longtemps, président, dans le sens qui nous concerne était un mot purement masculin. Le monumental Trésor de la Langue Française (TLF), donnait encore :
Il faudrait chercher dans les archives quand le volume contenant l’entrée président a été écrit. Sans doute dans les années 80. C’est le moment où les choses ont commencé à bouger, du moins dans les commissions. Nous sommes champions du monde en la matière. En 1984, Yvette Roudy, alors ministre des Droits de la Femme, avait mis en place, une « commission de terminologie chargée de la féminisation des noms de métier et de fonction », présidée par Benoîte Groult. Les conclusions en avaient été rendues à Laurent Fabius en 1986, lequel s’est empressé de publier une circulaire au Journal Officiel, demandant de veiller à l'utilisation de ces termes dans l’administration. Las, comme souvent dans notre doux pays, rien ne se passe, et en mars 1998, Lionel Jospin… publie une autre circulaire : « Voilà plus de dix ans, dit-il, le 11 mars 1986, mon prédécesseur, Laurent Fabius, adressait aux membres du gouvernement une circulaire préscrivant la féminisation des noms de métier, fonction, grade ou titre dans les textes réglementaires et dans tous les documents officiels émanant des administrations et établissements publics de l'État. Cette circulaire n'a jamais été abrogée mais elle n'a guère été appliquée jusqu'à ce que les femmes appartenant à l'actuel gouvernement décident de revendiquer pour leur compte la féminisation du titre de ministre. » etc. etc. Et il trouve la recette miracle pour accélérer les choses. Il crée… une commission, sous l’égide du ministère de la Langue, mais, prudent, il invite quand même les administrations à adopter les féminins courants sans attendre. Ce qu'elles s'empressent évidemment de ne pas faire.
Un guide de la féminisation est finalement publié en 1999, portant le joli titre de Femme, j'écris ton nom... (disponible ici). Le rapport préconise bien présidente — on appréciera néanmoins la liste d’exemples : présidente d’association, d’une chambre régionale, de la chambre à la cour d’appel, du tribunal de grande instance…. Pas présidente de la République, tout de même !
Bref, je vous épargne quelques épisodes et circulaires, mais grosso modo, on en est toujours là. Il est bien rare de voir la députée, la sénatrice ou la préfète (au grand dam de certaines, comme Dominique Voynet, qui explique son indignation dans notre livre, Les Politiques mis au Net). Je constate même que sur le site du ministère de la Défense, Michèle Alliot-Marie, dont je parlais il y a quelques jours, est nommée « Madame LE ministre de la Défense ». Alors, présidente de la République, pensez un peu !
Sidérant (non, ça ne vient pas de sedere, mais de sidus, constellation : les astres étaient censés avoir parfois une influence funeste sur la destinée). En tout cas, nous serons sans doute sauvés d’un véritable dilemme. La présidente, dans l’ancienne école, c’était la femme du président : tante Yvonne, tatie Danielle, Bernie… Si Ségolène avait été à l’Élysée, comment aurait-il fallu appeler François ? (Hollande, ne confondons pas !) Le président ? Il aurait peut-être fallu créer une commission...
Regardez quand même la télé ce soir. On ne sait jamais... Et puis, les premiers discours vont être intéressants à analyser ! Je vous donne rendez-vous chez Colombe Schneck, demain matin pour discussions et décryptages (10h30 à 11h France Inter, Emission J'ai mes sources).
Si le résultat est celui qui semble se dessiner, les Français se seront épargné un débat linguistique intéressant… Aurait-on dit «Madame le président de la République» ou bien «Madame la présidente» ? Nous avons entendu tellement souvent ce mot de présidente pendant la campagne qu’il nous semble acquis, mais c’est aller un peu vite en besogne.
Pendant bien longtemps, président, dans le sens qui nous concerne était un mot purement masculin. Le monumental Trésor de la Langue Française (TLF), donnait encore :
PRÉSIDENT, -ENTE, subst.
A. Subst. masc. Celui qui préside une assemblée, une réunion, un groupe, un organisme en ce qu'il en dirige les délibérations, les débats, les travaux.
...
Il faudrait chercher dans les archives quand le volume contenant l’entrée président a été écrit. Sans doute dans les années 80. C’est le moment où les choses ont commencé à bouger, du moins dans les commissions. Nous sommes champions du monde en la matière. En 1984, Yvette Roudy, alors ministre des Droits de la Femme, avait mis en place, une « commission de terminologie chargée de la féminisation des noms de métier et de fonction », présidée par Benoîte Groult. Les conclusions en avaient été rendues à Laurent Fabius en 1986, lequel s’est empressé de publier une circulaire au Journal Officiel, demandant de veiller à l'utilisation de ces termes dans l’administration. Las, comme souvent dans notre doux pays, rien ne se passe, et en mars 1998, Lionel Jospin… publie une autre circulaire : « Voilà plus de dix ans, dit-il, le 11 mars 1986, mon prédécesseur, Laurent Fabius, adressait aux membres du gouvernement une circulaire préscrivant la féminisation des noms de métier, fonction, grade ou titre dans les textes réglementaires et dans tous les documents officiels émanant des administrations et établissements publics de l'État. Cette circulaire n'a jamais été abrogée mais elle n'a guère été appliquée jusqu'à ce que les femmes appartenant à l'actuel gouvernement décident de revendiquer pour leur compte la féminisation du titre de ministre. » etc. etc. Et il trouve la recette miracle pour accélérer les choses. Il crée… une commission, sous l’égide du ministère de la Langue, mais, prudent, il invite quand même les administrations à adopter les féminins courants sans attendre. Ce qu'elles s'empressent évidemment de ne pas faire.
Un guide de la féminisation est finalement publié en 1999, portant le joli titre de Femme, j'écris ton nom... (disponible ici). Le rapport préconise bien présidente — on appréciera néanmoins la liste d’exemples : présidente d’association, d’une chambre régionale, de la chambre à la cour d’appel, du tribunal de grande instance…. Pas présidente de la République, tout de même !
Bref, je vous épargne quelques épisodes et circulaires, mais grosso modo, on en est toujours là. Il est bien rare de voir la députée, la sénatrice ou la préfète (au grand dam de certaines, comme Dominique Voynet, qui explique son indignation dans notre livre, Les Politiques mis au Net). Je constate même que sur le site du ministère de la Défense, Michèle Alliot-Marie, dont je parlais il y a quelques jours, est nommée « Madame LE ministre de la Défense ». Alors, présidente de la République, pensez un peu !
Sidérant (non, ça ne vient pas de sedere, mais de sidus, constellation : les astres étaient censés avoir parfois une influence funeste sur la destinée). En tout cas, nous serons sans doute sauvés d’un véritable dilemme. La présidente, dans l’ancienne école, c’était la femme du président : tante Yvonne, tatie Danielle, Bernie… Si Ségolène avait été à l’Élysée, comment aurait-il fallu appeler François ? (Hollande, ne confondons pas !) Le président ? Il aurait peut-être fallu créer une commission...
Regardez quand même la télé ce soir. On ne sait jamais... Et puis, les premiers discours vont être intéressants à analyser ! Je vous donne rendez-vous chez Colombe Schneck, demain matin pour discussions et décryptages (10h30 à 11h France Inter, Emission J'ai mes sources).
Pour réécouter l'émission
- L'émission sera rediffusée sur le Web et en podcast (ici).
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14 Commentaires:
Merci.
P.S: Etat prend un majuscule.
Exact ! Merci.
Qu'importe le résultat, si l'élu(e) ne reste pas assis(e) à rien faire je pense que l'on en sera que plus satisfait
Dans le cas d'Alliot-Marie, c'est un choix délibéré et sur lequel elle s'est déjà expliqué longuement au début de son ministère. Même remarque à propos de la secrétaire perpétuelle de l'Académie française qui se trouve plus digne en le secrétaire pertétuel, idem à la Comédie-Française où la doyenne ne voulait être que le doyen...
Le français n'appartenant pas qu'aux Français, je voulais signaler que les Suisses, les Québécois, les Belges ont été plus rapide à féminiser les titres et fonctions.
En Belgique, un décret (= une loi) oblige les administrations francophones à féminiser les titres et fonctions. Personne ne s'étonne plus du "Madame la présidente" qui accueille l'arrivée au Sénat de Mme Lizin, présidente de cette assemblée.
Malgré les résistances du dictionnaire orthographique de MSWord et Firefox, les comptes rendus parlementaires font état des paroles des sénatrices et non des sénateurs (femmes?, etc.
Voilà, à prendre en exemple.
Pour les Belges, Madame la présidente de la République, s'imposerait légalement et dans l'usage sans problème, s'ils vivaient en république.
Eh oui, en dépit des tentatives de législation le français de France reste bien conservateur (tout comme le Français de France ?) ... Par ici, en province, nous sommes "chef de département" ou même directeur (!), au collège elles sont "principal", à la ville elles sont "docteur" (Mme le chef de département, Mme le principal et Mme docteur, qui saluent l'avant-garde des autres pays francophones...)
Si Ségolène Royal devient "président", M. Hollande se verra-t-il décerné le titre - honorifique - de "première dame de France" ?
dame donnerait aussi dom bien trop ecclésiastique! Un monarchiste proposerait consort, plutôt exact sémantiquement, mais bien chargé.
Bonjour,
cela a évidemment été dix et écrit de nombreuses fois (mais pas ici me semble-t-il). D'une part certaines titulaires d'un poste refusent farouchement la féminisation de sa dénomination (dévalorisante ?!), et par ailleurs, certains noms d'emplois, certes moins glorieux sont déjà féminins : une estafette, une ordonnance; faudrait-ils par souci d'équité les masculiniser ? Sans parler des majorettes ou des squelettes.
Je confirme que MAM a décidé de se faire appeler Mme LE ministre - même les projets de texte qu'elle fait préparer comportent "le ministre de la défense". En revanche, vous pourrez remarquer que ce masculin est transformé en féminin dans l'article d'exécution (le dernier d'un décret ou d'une loi).
Je crois que l'élection de SR n'aurait pas posé de pb : comme vous dites, le féminin "présidente" est entré dans les moeurs depuis longtemps. D'autre part, la question de l'appellation du conjoint n'a plus aucune importance, dans une société où il est de plus en plus rare que le conjoint n'ait pas de fonction propre et qu'il n'existe socialement que par la fonction de son conjoint qui est président (général, ambassadeur...).
Enfin, la féminisation de certains mots a du mal à s'imposer, car phoniquement imperceptible : procureur(e), professeur(e)...
Bonjour,
je n'ai pas pu écouter en entier le "J'ai mes sources" d'hier, quelqu'un aurait-il par hasard téléchargé le podcast?
Merci d'avance ;-)
Arthur
L'émission est disponible pendant huit jours ici:
http://www.radiofrance.fr/franceinter/em/jaimessources/index.php?id=55489
Bonjour (et merci pour ce billet très intéressant, comme d’habitude, Jean),
Comme JCDeroubaix parle de la « résistance » du dictionnaire orthographique de Word, je ne peux m’empêcher de rappeler que nous avions parlé il y a quelques mois de la reconnaissance des formes féminines comme sénatrice, présidente, auteure, professeure, gouverneure, etc. dans la version 2003 du correcteur orthographique de Word (et bien sûr dans la nouvelle version d’Office 2007). On l’avait évoqué lors d’un billet de Jean Véronis sur ce même correcteur et je me permets de redonner le lien du blog où j’en avais parlé : http://blogs.msdn.com/correcteurorthographiqueoffice/archive/2005/10/24/484025.aspx
Cela fait donc deux ans que le correcteur reconnaît toutes les formes relatives à la féminisation des noms de métiers et de professions (y compris sénatrice, donc). :-)
Thierry
Thierry Fontenelle [MSFT]
Microsoft Natural Language Group
Bonjour,
Un certain nombre de formes féminines pour les noms de professions sont fabriquées par ajout d'un "e" au bout d'un terme en "eur", comme "professeure" ou "auteure".
Ce "e" semblant être la marque indispensable et irréfutable du féminin, il conviendrait donc de l'enlever, quand il s'agit d'un homme, et d'employer un terme masculinisé, par exemple "journalist", "notair" ou "ministr" !
J'en dis un peu plus sur mon propre blog...
Cordialement
Giangi
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