Jean Véronis
Aix-en-Provence
(France)


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vendredi, avril 20, 2007

Histoire: La robe blanche des églises

Je mentionnais hier l'interview de Nicolas Sarkozy dans le Figaro, où il s'extasiait du « long manteau d’églises » qui recouvre notre pays. Richard fait remarquer à juste titre, dans un commentaire sur mon billet, qu'il s'agit d'une citation assez connue de Raoul Glaber (c'est-à-dire le Glabre ou le Chauve), un moine-chroniqueur bourguignon qui vécut autour de l'an mil. Glaber vantait les mérites de la chrétienté, qui à cette époque bâtissait des églises un peu partout en Europe. On dirait un de ces clichés qu'affectionnent les élèves de sixième dans leurs rédactions : le long ruban de la route, le blanc manteau de la neige... Le Figaro met des guillemets autour de la citation. Si Sarkozy a été interviewé à l'oral, ils n'ont pu les entendre. Il est donc possible qu'ils aient reconnu la citation (ou alors que l'interview ait été faite par mail -- auquel cas ce sont peut-être les plumes de Sarkozy qui ont glissé cette citation fort érudite...).

Ce que personne ne semble avoir noté, c'est que la citation est fausse. Le texte se trouve à la BnF, et est téléchargeable sur Gallica. Voici l'extrait :



Il ne s'agit pas du long manteau, mais du blanc manteau. Et de plus, le mot manteau n'est probablement pas la meilleure traduction du latin vestem. Vestis c'était, selon les contextes, l'ensemble de l'habillement, ou plus spécifiquement la robe, ou même le voile (de femme). En gros (je traduis à la louche, pardonnez-moi), Glaber nous dit que peu après l'an mil, un peu partout dans le monde, mais surtout en Italie et dans les Gaules, les basiliques/églises furent rénovées, bien que la plupart aient été en encore assez bon état, mais qu'il y avait une sorte de compétition à qui bâtirait la plus belle. La phrase surlignée dit : «Il semblait que le monde entier, d'un commun accord, avait rejeté les vieux haillons, pour revêtir la robe blanche des églises».

Ainsi traduite, la phrase est tout sauf un cliché. Il me semble que Glaber joue habilement sur la métaphore, le monde revêtissant la robe écclésiastique, de couleur blanche comme il se doit.

Et vous savez pourquoi on la connaît, cette citation ? C'est parce que Victor Hugo la reprend dans Notre-Dame de Paris, dans le fameux passage «Le livre va tuer l'édifice» :
L'imprimerie. Qu'on ne s'y trompe pas, l'architecture est morte, morte sans retour, tuée par le livre imprimé, tuée parce qu'elle dure moins, tuée parce qu'elle coûte plus cher. Toute cathédrale est un milliard. Qu'on se représente maintenant quelle mise de fonds il faudrait pour récrire le livre architectural ; pour faire fourmiller de nouveau sur le sol des milliers d'édifices ; pour revenir à ces époques où la foule des monuments était telle qu'au dire d'un témoin oculaire «on eût dit que le monde en se secouant avait rejeté ses vieux habillements pour se couvrir d'un blanc vêtement d'églises». Erat enim ut si mundus, ipse excutiendo semet, rejecta vetustate, candidam ecclesiarum vestem indueret (GLABER RADULPHUS).
*
* *
Ça nous emmène bien loin de l'élection, tout ça. Mais revenons-y ! Vous voyez dans le texte que l'expression pour robe blanche est candidam vestem. Candidus en latin, c'est le blanc éclatant, celui de la neige et des astres. Au sens figuré, il signifiait loyal, heureux, limpide (d'où notre candeur). Et si nos prétendants à l'élection s'appellent candidats, c'est parce qu'à Rome, ceux qui postulaient à des fonctions publiques devaient porter la toge blanche (toga candida).

Je ne sais pas si le candidat était candide en flattant maladroitement l'électorat chrétien, mais je me demande si à force de cajoleries tous azimuts, il ne va pas se prendre une veste...

12 Commentaires:

Anonymous Anonyme a écrit...

Oui, le manteau est blanc, mais il devient long s'il est mal porté !

20 avril, 2007 13:30  
Anonymous Anonyme a écrit...

Mort de rires le jeu de mot à la fin ;-) il n'a plus qu'à s'y collet ... coller.

20 avril, 2007 13:45  
Blogger Damocles a écrit...

Ahahah ! Bravo pour cet instant linguistique ! (Enfin tout le blog est linguistique mais on se comprend... enfin j'espere...)

Quant a Tom : ton jeu de mot est tres bien aussi :DD !!

20 avril, 2007 14:27  
Anonymous Anonyme a écrit...

Et si Bayrou passe, que deviens-tu, Jean ? Conseiller spécial, chargé des ionterviews ? Ministre de la Recherche ?? On va bientôt voir si Sarko se prend une veste et si Bayrou passe au 2e tour, conformément à tes prédictions...

20 avril, 2007 14:50  
Blogger Jean Véronis a écrit...

Vanessa> Dieu me garde (si je puis dire). Même pas un petit poste de sous-fifre de cabinet ! je n'ai jamais été encarté nulle part, et je ne vais pas commencer...

20 avril, 2007 16:07  
Blogger md a écrit...

Moi qui pensais que tu allais nous parler des tailleurs blancs de la candidate Ségo... ;-)

20 avril, 2007 18:01  
Anonymous Anonyme a écrit...

Il y a une rue des Blancs-Manteaux à Paris, dans le quartier chic du Marais. Mais il me semble que Sarko habite à Neuilly ...

20 avril, 2007 18:19  
Anonymous Anonyme a écrit...

Excellent !

Merci pour cette "couverture" linguistique des élections...

Et merci pour ce blog, toujours passionnant à lire.

Thierry

20 avril, 2007 21:19  
Blogger Jean Véronis a écrit...

D.Strohl> Si mes souvenirs sont exacts, cette rue doit son nom à un ordre mendiant disparu, les Serfs de la Vierge Marie, qui portaient justement de longs manteaux blancs.

20 avril, 2007 23:06  
Blogger Mithradate a écrit...

Bof, est-ce si sûr qu'il ou sa plume ait voulu faire ladite citation ? Ou était-ce simplement une inspiration proche de celle de Glaber ? Ça fait un peu procès d'intention sur un détail extrapolé de la manière la plus capillotractée possible…

Les auteurs sont nombreux, ce qui a déjà été pensé est quasi-infiniment vaste, qu'on puisse régulièrement trouver deux occurrences présentant de fortes similitudes, c'est plus que probable. Faut-il crier au mauvais plagiat, au pillage de barbares incultes ?

Et dans l'absolu, même les plus cultivés ne connaissent que quelques misérables gouttes de l'océan des connaissances. On est tous le niais de quelqu'un d'autre. Faut-il alors que le monde intellectuel ne soit qu'une vaste campagne de dénigrement ou l'intelligence ne serait que le loup d'une autre intelligence, pour reprendre Hobbes ?

Ce serait pour le moins regrettable.

21 avril, 2007 06:33  
Blogger Jean Véronis a écrit...

Cher Mithridate> Est-ce l'approche de l'échéance fatidique ? Vous me paraissez un peu hypersensible. Si vous lisez bien mon billet vous verrez que je ne fais à aucun moment le procès d'intention que vous dites. Le but de ce petit billet était de faire connaître la source, et la transmission (intéressante, me semble-t-il) par Victor Hugo. Je constate simplement que la citation (donnée comme telle par le Figaro, puisqu'elle est entre guillemets), est déformée, sans porter de jugement.

21 avril, 2007 09:26  
Anonymous Anonyme a écrit...

Ah, je regrette de n'être pas venu plus tôt! La belle citation de Raoul Glaber, que, il me semble, vous avez bien traduite! Quand NS l'avait utilisée, cela m'avait aussi chatouillé l'oreille, mais vous avez eu le grand mérite de relever plus amplement la chose!
"La blanche robe d'Eglise", c'est un peu la tarte à la crème des citations de textes médiévaux, le genre de citation qui est rabâchée en prépa et que tout bon khâgneux doit connaître sur le bout des doigts.
Je ne savais pas que Victor Hugo la connaissait, mais elle est surtout connue par Georges Duby, qui l'affectionne beaucoup aussi. Voir notamment son "An Mil", que je cite d'après l'édition folio histoire, n° 52, de 1980, p. 248: "C'était comme si le monde lui-même se fût secoué et, dépouillant sa vétusté, ait revêtu de toutes parts une blanche robe d'église". Mais votre traduction est peut-être plus fine, à revoir...
Intéressant en tout cas, le commentaire de Duby: "Lorsque Glaber évoque cette "blanche robe", il n'use pas seulement d'une admirable métaphore. Il veut signifier que la chrétienté dépouille aloirs le vieil homme, adhère au parti du bien pour lutter contre les puissances de perversion, qu'elle s'apprête au nouveau baptême, qu'elle revêt la robe nuptiale pour s'approcher du banquet de son Roi. Cette même tunique blanche (celle qui signale dans les songes les apparitions bénéfiques), les vrais hommes de Dieu, ceux qui tracent les plans des nouvelles basiliques, la portaient eux-mêmes en ce temps [...]".
Ce qui est probable, c'est que le rédacteur du discours, se remémorant les bribes d'un lointain apprentissage, a finement inséré une allusion pour initiés...

22 avril, 2007 00:39  

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