Lexique: Le barda dans les gourbis
Aujourd'hui, 25 juin, Jacques Chirac inaugure un mémorial dédié aux musulmans morts pour la France à Verdun. C'était il y a 90 ans. Mieux vaut tard que jamais, mais je ne sais pas si parmi les six poilus encore en vie, il reste un musulman. Je ne pense pas. C'est dommage, il aurait été fier. Il faut dire qu'à l'époque, c'était plus simple d'entrer dans les tranchées que maintenant dans les boîtes de nuit. Bronzé ou pas, ça faisait l'affaire pour croupir avec son barda dans les gourbis en attendant les pluies d'obus au phosgène...
Barda, gourbi... Ces poilus musulmans ont aussi apporté quelque chose de bien plus modeste à la France: quelques mots, dont certains étaient déjà en vigueur dans l'argot des bas-fonds ou dans les colonies, mais qui se sont généralisés à l'occasion de ce brassage des troupes. Si vous lisez ce blog depuis quelque temps, vous savez que je suis un amoureux de la BnF et en particulier du serveur Gallica. Je ne résiste pas au plaisir de vous indiquer un livre tout à fait étonnant, L'argot des tranchées : d'après les lettres des poilus et les journaux du front par Lazare Sainean, publié en... 1915 (réimprimé en facsimilé par Slatkine en 1973):
C'est un témoignage de première main sur cet argot qui se développe au fond des tranchées, dans les terribles conditions que l'on sait. Certains mots ont disparu (comme le nougat, qui désignait le fusil) d'autres sont passés dans le langage courant (comme les pruneaux, pour rester dans le domaine de la confiserie -- mais ceux-là étaient indigestes). Si vous êtes amoureux des mots et amateurs de langue verte (je ne parle pas de la langue de bois que nous servent en ce moment Voynet et Cochet), vous serez conquis. Et probablement émus en lisant les extraits de lettres de ces jeunes hommes envoyés à la boucherie, et qui arrivaient parfois à garder le sens de l'humour. Peut-être autant pour conjurer la mort que pour rassurer les familles...
Pages 56 à 59, Sainean décrit les différents mots hérités des troupes coloniales: barda, guitoune, gourbi, kasba, nouba, toubib, cagna:
Si vous vous intéressez au langage des poilus, vous serez probablement aussi fascinés par cette compilation de "Journaux de tranchées", écrits par les poilus sur le front entre deux attaques. Certains sont fameux comme le Crapouillot. D'autres ont été oubliés, comme... l'Echo des gourbis. Tous sont émouvants.
Voilà, c'était un petit hommage aux six papys qui nous restent, qui ont vécu cet enfer, et qui croyaient peut-être que c'était la der des ders.
Ah, j'allais oublier. Un dernier petit mot avant de nous quitter. On sait que Jacques Chirac dit n'importe quoi et son contraire, on en a fait des pamphlets, des films... Aujourd'hui, il a dit au moins une chose qui méritait d'être dite:
Barda, gourbi... Ces poilus musulmans ont aussi apporté quelque chose de bien plus modeste à la France: quelques mots, dont certains étaient déjà en vigueur dans l'argot des bas-fonds ou dans les colonies, mais qui se sont généralisés à l'occasion de ce brassage des troupes. Si vous lisez ce blog depuis quelque temps, vous savez que je suis un amoureux de la BnF et en particulier du serveur Gallica. Je ne résiste pas au plaisir de vous indiquer un livre tout à fait étonnant, L'argot des tranchées : d'après les lettres des poilus et les journaux du front par Lazare Sainean, publié en... 1915 (réimprimé en facsimilé par Slatkine en 1973):
Cliquez sur l'image pour consulter.
C'est un témoignage de première main sur cet argot qui se développe au fond des tranchées, dans les terribles conditions que l'on sait. Certains mots ont disparu (comme le nougat, qui désignait le fusil) d'autres sont passés dans le langage courant (comme les pruneaux, pour rester dans le domaine de la confiserie -- mais ceux-là étaient indigestes). Si vous êtes amoureux des mots et amateurs de langue verte (je ne parle pas de la langue de bois que nous servent en ce moment Voynet et Cochet), vous serez conquis. Et probablement émus en lisant les extraits de lettres de ces jeunes hommes envoyés à la boucherie, et qui arrivaient parfois à garder le sens de l'humour. Peut-être autant pour conjurer la mort que pour rassurer les familles...
Pages 56 à 59, Sainean décrit les différents mots hérités des troupes coloniales: barda, guitoune, gourbi, kasba, nouba, toubib, cagna:
Si vous vous intéressez au langage des poilus, vous serez probablement aussi fascinés par cette compilation de "Journaux de tranchées", écrits par les poilus sur le front entre deux attaques. Certains sont fameux comme le Crapouillot. D'autres ont été oubliés, comme... l'Echo des gourbis. Tous sont émouvants.
Voilà, c'était un petit hommage aux six papys qui nous restent, qui ont vécu cet enfer, et qui croyaient peut-être que c'était la der des ders.
Ah, j'allais oublier. Un dernier petit mot avant de nous quitter. On sait que Jacques Chirac dit n'importe quoi et son contraire, on en a fait des pamphlets, des films... Aujourd'hui, il a dit au moins une chose qui méritait d'être dite:
«Un homme a su prendre les décisions qui conduiront à la victoire. Il restera comme le vainqueur de Verdun. Cet homme, c'est Philippe Pétain, hélas. En juin 40, le même homme, parvenu à l'hiver de sa vie, couvrira de sa gloire le choix funeste de l'armistice et le déshonneur de la collaboration»C'est la première fois en soixante ans qu'un président de la République ose dire ça aux cérémonies de Verdun. Mieux vaut tard que jamais, là aussi.
A mon grand-père, poilu.
A lire aussi
14 Commentaires:
Il faut se souvenir... Vous le faites à votre manière. Je vais penser à eux... Grâce à vous !
Si pide una caña, que le va a traer el camarero ?
Argot que l'on ne retrouve pas dans Joyeux Noël (presque) malheureusement. Film que vous avez vu, évidemment...
LdS> un vino tinto de calidad: un "Pinard" ;-)
"J'ai comme toi pour me réconforter
Le quart de pinard
Qui met tant de différence entre nous et les boches."
Apollinaire, "A l'Italie" (1915) -- Calligrammes.
Vicnent> Il y aurait tout un travail de documentation linguistique à faire pour ce genre de film, et c'est bien rare qu'il soit fait (quelles que soient les périodes décrites, d'ailleurs). Mais en même temps, les spectateurs du début du XXIe siècle risquent bien de ne pas comprendre des tas de mots de l'époque. c'est donc délicat. Dans le cas de Joyeux Noël, il aurait fallu en plus faire une recherche sur l'argot allemand, puisque (je crois) que c'est une production franco-allemande.
Tiens, un bon livre pour les vacances, dont Carion s'est d'ailleurs inspiré:
Ceux de 14, de Maurice Genevoix.
Esperaba en una presión, para decir le "salud y forza a ..."(argot catalan)
Parmi ces journaux de tranchées, il y en a un qui passera la guerre : le Crapouillot de Galthier-Boissière (le titre a été ensuite repris par des fâcheux, mais l'idéologie du premier Crapouillot n'avait rien à voir avec ce qu'on en connaît aujourd'hui).
Dominique> Oui, c'est vrai, le Crapouillot a hélas viré quelque peu à l'extrême-droite avant de s'éteindre en 1996... Mais le Crapouillot des tranchées était tout autre. On peut le consulter à la BnF (mais sur place, il n'est pas numérisé).
Bravo pour l'article, émouvant. Originaire du pays des tranchées je peux vous confirmer que cette période marque encore les gens d'aujourd'hui.
Sinon pour parler de la langue des candidats à l'élection présidentielle, j'ai eu une petite idée de site : Conscience politique.
Qu'en pensez-vous ?
À ajouter à la liste : clebs, smala, et sans doute bien d'autres qui m'échappent sur la moment.
Et par ailleurs, merci beaucoup, Jean pour votre lectorat qui m'honore infiniment
Abie> Comme ça, de tête, il me vient aussi flouze, maboul, salamalecs, souk, mais tous ne viennent peut-être pas du contact avec les troupes coloniales en 14-18...
C'est moi qui suis heureux de vous avoir parmi mes lecteurs! Vous avez un blog bien intéressant...
Bonjour Jean,
Lazare Sainéan : Nomen omen !
Jean-Marie
"Lazare Ponticelli, le dernier poilu de la Grande guerre, est décédé à l'âge de 110 ans."
http://www.france24.com/fr/20080312-dernier-poilu-mort-premiere-guerre-mondiale-deces-lazare-ponticelli
A noter l'utilisation de l'anaphore ("1,4 million de morts...") à la fin de cette page...
Quand on connaît le procédé, on le retrouve partout!
Merci. votre billet arrive au milieu de la toile, au moment où je commencer a me lasser ! merci pour "l'argot des tranchées", c'est pil poi"u" ce que je cherchais
marko
Enregistrer un commentaire