Langues: Le hezhe survivra-t-il?
Les linguistes estiment à environ 6000 ou 7000 le nombre de langues parlées à travers le monde (voir base Ethnologue; ce chiffre varie selon les sources car il dépend en particulier de la façon de comptabiliser les multiples variantes, dialectes, etc.). Malheureusement, quelle que soit la façon de compter, ce chiffre diminue d'année en année, dans un processus de désertification linguistique qui semble inéluctable:
- 50% des langues sont en danger immédiat de disparition ;
- une langue disparaît en moyenne toutes les deux semaines ;
- si rien n'est fait, jusqu'à 90% des langues pourraient disparaître au cours de ce siècle.
L'Unesco a lancé un programme sur les langues en danger, mais dont les moyens sont bien faibles: il s'agit surtout de faire un inventaire, et d'enregistrer les témoignages des derniers locuteurs pour les langues qui disparaissent. Le sujet ne semble pas passionner les foules... J'avais commencé un article sur ce thème dans Wikipedia ("langues en danger"), mais je vois qu'il n'a quasiment pas évolué depuis des mois.
Le hezhe est une de ces langues en danger. C'est la langue des Hezhe, l'une des petites minorités ethniques de Chine, qui vit dans le Heilongjiang au Nord-Est de la Chine.
La communauté Hezhe a beaucoup souffert de la pauvreté et de l'oppression et est tombée à environ 300 membres en 1949. Les conditions de vie se sont améliorées depuis, et comporte environ 4 à 5000 personnes qui vivent essentiellement de la pêche, avec une ouverture récente sur l'agriculture et le tourisme (grâce à la "sollicitude du gouvernement chinois"; voir Quotidien du peuple).
Leur langue, le hezhe (on écrit aussi hejen ou hedjen), est un dialecte Nanai, une langue de la famille altaïque, de la branche toungouse (les autres branches sont le turc et le mongol). Les autres langues toungouzes sont assez peu connues, à part peut-être le mandchou, qui a également presque disparu après avoir été pendant plusieurs siècles la langue officielle de la dynastie régnante.
Le livre rouge de l'Unesco sur les langues en danger liste le hezhe comme langue presque éteinte. Tous les indicateurs sont en effet mauvais : total de locuteurs tombé en dessous de 50, pas de locuteurs parmi les enfants, seuls les gens âgés de plus de 50 ans comprennent la langue, etc. L'usage du chinois mandarin s'est généralisé à l'intérieur de la communauté. Le hezhe n'a pas d'écriture, et la culture traditionnelle des Hezhe, comme c'est le plus souvent le cas, est en train de se perdre avec la disparition de leur langue -- en particulier le Yimakan, un ensemble de chants qui reflètent les mythes, les légendes, la philosophie et les traditions ce ce peuple.
La bonne nouvelle vient du China Daily du 6 juin. Des enseignants d'une école de Tongjiang ont développé un système d'écriture du hezhe à partir du chinois et réalisé un livre de classe pour cette langue. L'opération paraît être un succès, puisque quelque 150 élèves apprennent désormais la langue hezhe.
Cela suffira-t-il à sauver cette langue? L'avenir le dira, mais c'est déjà une bien belle histoire pour commencer la journée.
6 Commentaires:
Bonjour
Je travaille au Burkina Faso, 60 langues pour 12 millions d'habitants. Les langues meurent peu à peu. Les principales langues ont été transcrites de l'oral à l'écrit, depuis une cinquantaine d'années, mais hélas l'éducation primaire et secondaire se fait en français. Seule une ong (oseo.ch) pour laquelle je travaille a réussi à créer une centaines d'écoles, et des programmes scolaires dans une dizaine de langues. Mais la loi du plus fort est partout, le français est la langue du pouvoir et de l'argent, et des amis prédisent 100% de francophones d'ici 100 ans. C'est dommage, les richesses de vocabulaires propres à un environnement disparaissent aussi (2000 mots pour définir le bétail chez les nomades pasteurs au nord, des curiosités linguistiques assez jouissives, même pour le linguiste diletante que je suis). Mais le bon coté c'est qu'ils s'approprient le français et le malaxent pour en faire quelque chose de nouveau, après tout une langue ça mute...
Merci, Wallaye, de ce témoignage du Burkina! C'est vrai, les africaines sont très menacées. Le français et l'anglais sont vus partout comme les langues de la promotion sociale. Il y a bien peu d'exemples de politiques linguistiques réussies: seule une poignée de langues s'en sort, comme le swahili dont je parlais l'autre jour...
Pourquoi sauver le hezhe? Un patrimoine de l'humanité? Citez-moi un poète Hezhe, un philosophe hezhe ou un inventeur Hezhe? Vous n'en connaissez pas, et cet article était probablement la première fois que vous avez entendu parlé des Hezhe. L'humanité ve vivra pas plus mal une fois cette langue éteinte (ainsi que la plupart des langues de ces tribus préhistoriques qui n'ont pas adopté cet outil de progrès qu'est l'écriture.)
Tant que la langue ne disparait pas du fait d'une interdiction gouvernementale, je ne vous pas pourquoi il faudrait s'opposer à ce qui peut être un progrès et facteur de développement économique pour ces minorités ethniques. La langue n'est qu'une composante d'une culture (croyances, coutumes, cuisine, habillement...) peuvent survivre sans la langue.
Ne me faites pas le reproche de voir le monde de manière monochrome. J'ai appris l'allemand, l'anglais, le latin et l'hébreu moderne et parle à peu près le mandarin.
Mais pour sortir les peuples de la pauvreté et de la faim, on ne peut se contenter de leur donner du poisson, mais il faut leur apprendre à pêcher (Confucius). Et si la Chine, dont vous nous parlez, sort de la pauvreté, c'est parce qu'elle a appris à parler et à commercer avec le reste du monde, pas parce qu'elle a sauvé ses langues en danger!
Il existe des langues et des cultures qui ont transcendés les siècles.
Et il n'y avait pas d'écriture, juste de l'art.
Mais l'art se décline sous toutes formes.
Les aborigènes ont perduré leur culture par leurs chants et leurs peintures.
Puisque nous ne savons rien des Hezhes, possible qu'ils aient un art qui leur permettrait de "justifier" l'existence de leur patrimoine au reste du monde.
Bonjour,
Je comprends que l'interface ne se prête pas au dialogue, mais quel dommage que vous n'ayez pas discuté avec Stéphane.
Il n'est nullement évident que le multiple constitue en soi une bonne chose. En matière d'idiomes comme d'autres choses, d'ailleurs. Dans notre quotidien, cette multiplicité est, le plus souvent, une calamité! Un peu pour les mêmes raisons qui font qu'un usager de l'informatique est plutôt enclin à voir d'un mauvais oeil la multiplication des langages de programmation et autres codes...
Cette multiplicité est de toutes les façons inévitable, "incontournables", elle s'impose toujours malgré qu'on en ait: voyez les diverses variantes de l'anglais...
Entre la sauvegarde des "patrimoines" de l'humanité (à distinguer des "langues maternelles", lesquelles me paraissent un objet de conservation tout aussi enviable, sinon plus), l'irrédentisme langagier, le nationalisme linguistique et l'esprit de clocher borné, la frontière est ténue.
Comme Stéphane, je m'insurge lorsqu'on donne comme "allant de soi" la métaphore vitaliste de la "mort des langues"(on en veut à Chomsky d'être allé repêcher Humboldt!).
Oui, au fait: c'est pour aguicher le chaland qu'on intitule un livre La mort des langues, mais toute disparition est-elle une mort? D'aiulleurs, les langues dites mortes ne sont elles pas, justement, parmi les plus "vivantes" (quoi que cela signifie)?
Restent - et vous l'avez bien noté vous-même - les points de vue du linguiste, de l'ethnographe (liste non limitative contenant maintes sciences de l'homme et excluant peut-être la philosophie et/ou l'éthique), ponts de vue de savants, donc, qui se nourrissent de cette diversité...
...et peinent à dire pourquoi!
les linguistes, en tout cas.
à mon avis.
Je suis né en Algérie, en Kabylie. Depuis un bon quart de siècle les habitants de cette région tentent d'infléchir la politique linguistique de l'Etat. Dans ce pays, seul l'arabe classique est langue officielle. Les bérbérophones qui représent un quart des Algériens et% des Marocains sont laissés pour compte en ce qui concerne l'accès à un enseignement, à des télévisions, à l'informatique... dans leur langue maternelle.
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