Jean Véronis
Aix-en-Provence
(France)


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dimanche, mai 01, 2005

Lexique: Emoi de mai

Les dictionnaires nous expliquent que mai est le mois de la déesse romaine Maia. Dans la mythologie grecque, Maia était l'aînée des Pléiades, les sept filles d'Atlas et de la nymphe Pléioné, que Zeus a transformées en étoiles (Maia est celle sur laquelle j'ai ajouté une flèche). Elle était la mère d'Hermès, le fruit de ses amours avec Zeus.

constellation des pleiades
Constellation des Pléiades
Le transfert dans la mythologie romaine est assez confus. Il semblerait que Maia ait été identifiée lors de l'arrivée de l'héllénisme à une ancienne déesse homonyme (aussi appelée Bona Dea ou Fauna (femme ou fille de Faunus, le dieu cornu, selon les versions), qui symbolisait la fertilité, qui était célébrée en mai... Elle devint tout naturellement la mère de Mercure (l'équivalent romain d'Hermès), et fut vénérée sous le nom de Maia Maiesta ; les prêtres de Vulcain lui offraient un sacrifice le premier jour de mai.
separateur
Quoi qu'il en soit, les dictionnaires semblent tous bien d'accord pour attribuer l'origine du nom mai à cette divinité (Larousse, Robert, Lexis, TLF). Les dictionnaires anglais que j'ai consultés (Collins, Webster, OED) disent exactement la même chose pour May. Mais est-on si sûr de cette étymologie ?

Il nous faut lire le poète Ovide, qui parle du mois de mai dans ses Fastes, recueil de poèmes consacrés aux mois de l'année (peut-être peu enthousiaste pour cet exercice imposé, il n'a écrit que les six premiers).

Portrait d'Ovide
Ovide (illustration des Métamorphes, 1619, BnF)
Témoignage de la première importance, puisque datant d'environ deux millénaires, et donc considérablement plus près des faits... Or, Ovide commence le Livre V des Fastes, consacré au mois de mai, par cette interrogation :
Vous demandez déjà d'où vient, selon moi, ce nom du mois de Mai? La cause ne m'en est pas très bien connue. Comme un voyageur qui voit des routes s'ouvrir devant lui dans toutes les directions s'arrête d'abord, et ne sait laquelle il doit suivre, ainsi j'hésite entre plusieurs raisons qui s'offrent à mon esprit, et dont l'abondance même cause mon embarras.
(voir le texte en édition bilingue sur Itinera Electronica).

Page des Fastes
Les Fastes (1547, BnF)
Ovide interroge les Muses, et faisant parler successivement Polymnie, Uranie et Calliope, nous livre les trois étymologies qu'il connaît. Polymnie attribute l'origine du nom à une hypothétique déesse Majesté (Maiestas). Uranie pense que le nom vient plutôt de maiores, les Anciens, c'est-à-dire les conseillers et sénateurs de Romulus lors de la fondation de Rome. Pour Calliope enfin, le nom dérive bien de la Pléiade Maia.

Si ce n'était pas clair pour Ovide, je doute que ça le soit devenu depuis. J'ai plutôt l'impression qu'on est dans un de ces cas typiques où les étymologies de croisent, se contaminent, se mélangent. Et pour finir, il est sans doute bien plus beau, y compris pour les lexicographes, de se souvenir de mai comme du mois d'une déesse de la fertilité que comme celui d'obscurs sénateurs romains. L'humanité a besoin de mythes -- d'ailleurs n'avons nous pas, bien plus tard, fait du mois de mai le mois de la Vierge Marie, symbole même de la maternité?

Vierge et enfant
Vierge et enfant (Bréviaire de Martin d'Aragon, XVè s., BnF)
Coïncidence ? Peut-être pas tant que ça. On sait que l'Eglise chrétienne a recyclé bien des traditions et des fêtes païennes. On évitait encore, il n'y a pas si longtemps, de se marier au mois de mai, parce que c'était justement le mois de la Vierge. Les proverbes populaires disaient : Noces de mai ne vont jamais, ou bien Noces de mai, noces mortelles... Mais on avait sans doute oublié qu'on ne faisait que perpétuer une vieille tradition romaine, celle des Lémuriennes, période pendant laquelle on conjurait les mauvais esprits. Ovide nous la rappelle :
Les veuves et les vierges ne doivent pas choisir cette époque pour allumer les flambeaux de l'hymen; celle qui épouse alors ne vivra pas longtemps. De là ce dicton populaire, que les méchantes femmes se marient en Mai.
separateur
Revenons à l'étymologie : l'hypothèse des Anciens est intéressante, car elle donnerait une origine cohérente au mois de juin, qui serait celui des jeunes (iuuenes). Mai semblait être plus largement le mois des ancêtres (maiores aussi), comme le dit Ovide un peu plus loin :
Au temps où l'année était plus courte, où l'on ne connaissait pas les pieux sacrifices de Février, où Janus aux deux visages n'était pas encore le chef des mois,on portait déjà des offrandes à la cendre des morts, et le petit-fils faisait des expiations au tombeau où reposait l'aïeul. Ces cérémonies avaient lieu au mois de Mai, ainsi appelé du nom des ancêtres (maiores), et il a conservé jusqu'à nos jours une partie de ces anciens usages.
L'Encyclopédie de Diderot et d'Alembert se souvenait encore, au XVIIIème siècle, de cette possibilité étymologique, et la mentionnait même en premier :

Mai - Encyclopédie
Mai dans l'Encyclopédie
Moi qui croyais que mai était le mois des jeunes :

Daniel Cohn-Bendit 1968
Dany le Rouge
Mais peut-être, effectivement, que près de 40 ans plus tard c'est devenu le mois des vieux...

Daniel Cohn-Bendit Verts
Dany le Vert
separateur
Emoi de mai... C'est la jolie expression utilisée par Lacan pour qualifier les évenements de mai 68. Mais savait-il qu'émoi, écrit d'abord esmai, vient du vieux mot germanique magan, désignant la force, le pouvoir -- qui étaient justement la cause de l'émoi des jeunes ? (Pierre Guiraud, dans son Dictionnaire des Etymologies Obscures, pense que magan dériverait à son tour de magus, le mage). Esmaier, c'était effrayer ; l'émoi était le "trouble, l'agitation causé par la crainte, l'inquiétude" (TLF). Il est devenu simplement un trouble causé par une émotion vive.

Tract mai 1968
Oui, mai... (sans rapport avec le 29 du même non)
Le plus étonnant est que cette même racine germanique, magan, "pouvoir", qui nous a donné l'émoi, a donné aussi le verbe anglais may, homographe accidentel du mois de May.

Magie
des mots...

2 Commentaires:

Blogger all a écrit...

A Marseille il y a un quartier qui s'appelle "La Belle de Mai"

01 mai, 2005 23:43  
Blogger Jean Véronis a écrit...

Et il y a aussi, un peu plus loin sur la côte, une belle colline qui s'appelle le Mai, qu'on peut apercevoir d'Evenos ;-)

-- Si vous ne comprenez pas cette "private joke" allez voir où se promène "all". Ca s'appelle le Destel et j'y ai tellement traîné quand j'étais ado que je pourrais le refaire les yeux bandés, y compris la descente des "marmites" en rappel ! Ca m'a rappelé de drôles de bons souvenirs.

02 mai, 2005 23:48  

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