Jean Véronis
Aix-en-Provence
(France)


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mardi, mai 17, 2005

Langues: La fin des langues officielles de l'Union?



Ne sachant trop par où attaquer ce pensum assez impressionnant qu'on nous a donné à lire pour le 29 mai (et la date approche !), je me suis dit que le plus simple serait de commencer par ce que je connais un peu : la question linguistique. La Constitution française, quant à elle, dit une seule chose : "La langue de la République est le français". On peut être pour ou contre cet ajout de 1992, mais ça a au moins le mérite d'être clair. Qu'en est-il dans la Constitution Européenne ?

logo europe

J'ai mis à profit l'outil d'exploration que j'ai écrit tout spécialement pour naviguer dans le Traité, et que j'ai mis à votre disposition récemment. Voici ce qu'on obtient :
18LANGUE
18LANGUES
12LINGUISTIQUE
1LINGUISTIQUES
Visiblement, la Constitution s'intéresse à la question des langues. La première mention qui en est faite est la suivante :
Article I-3 - Les objectifs de l'Union
[...]
[L'Union] respecte la richesse de sa diversité culturelle et linguistique, et veille à la sauvegarde et au développement du patrimoine culturel européen.
Bravo, très bien. Qui peut protester ?

Le TCE insiste, d'ailleurs, puisqu'il y revient un peu plus loin :
Article II-82 - Diversité culturelle, religieuse et linguistique
L'Union respecte la diversité culturelle, religieuse et linguistique.
Ah ! Une variante. C'est curieux. Je ne suis pas professeur de droit constitutionnel, mais il me semble un peu étrange que l'on répète la même chose, et qu'en plus ça ne soit pas exactement la même chose.


diversite des langues
Diversité des langues

Un petit sentiment de flottement commence à m'habiter... Si c'était un devoir d'étudiant, je dirais que ça ressemble à un mauvais copier-coller. Mais ici nous sommes en présence d'un document juridique sur lequel des centaines de personnes ont planché (tout particulièrement sur cette question religieuse, qui était, si mes souvenirs sont bons, plus que polémique !), et qui concerne presque un demi-milliard de citoyens... J'ai donc du mal à croire qu'il s'agisse d'une erreur. Je n'étais évidemment pas dans les coulisses de la Convention, mais ça sent à plein nez le compromis, comme si on avait calmé certains pays en parlant du religieux, mais à condition que ça n'apparaisse pas dans les 10 premiers articles. Je ne veux pas, toutefois, parler ici de la religion et de la laïcité dans la Constitution. Je suis sûr que d'autres blogs s'en chargent, qui sont certainement plus compétents que moi sur la question : à chacun son blog et les moutons (blancs ou noirs) seront bien gardés.

Evidemment, les articles ci-dessus n'engagent pas à grand-chose, si l'on ne précise pas quelques modalités de ce "respect" de la diversité linguistique. Par exemple, les documents officiels et administratifs seront-ils traduits dans chacune des langues officielles de l'Union ? Le TCE se garde bien de le dire. On pourra objecter que ce n'est pas le rôle d'une constitution que de prévoir tous les détails du fonctionnement des institutions, et c'est bien vrai. Le seul problème c'est que ce document (et c'est dans doute pour cela qu'il fait un million de caractères) n'hésite pas à entrer dans les détails les plus mineurs dans d'autres circonstances. Il n'hésite ainsi pas à nous énumérer, à propos de la politique agricole commune, les "Boyaux, vessies et estomacs d'animaux, entiers ou en morceaux, autres que ceux de poissons" ou les "Produits d'origine animale, non dénommés ni compris ailleurs; animaux morts des chapitres 1 ou 3, impropres à la consommation" (bon appétit!). J'ai un respect immense pour les agriculteurs, parmi lesquels j'ai des amis très chers, mais qu'ils m'excusent, la (les?) langue(s?) que mes enfants et petits-enfants parleront me paraît un sujet plus grave que ces questions de boyaux et de vessies... Une ligne aurait suffit : "Les documents des institutions seront traduits dans toutes les langues officielles de l'Union".

langue agricole commune
Langue agricole commune

On comprend pourquoi cette ligne ne figure pas : les documents européens sont de moins en moins traduits. Il suffit d'aller sur les sites de la Commission Européenne pour constater le nombre impressionnant de documents qui n'existent plus qu'en anglais, ou au mieux dans deux ou trois langues. Même des documents juridiques (par exemple des contrats avec les universités, comme j'ai pu en faire l'expérience) ne sont plus rédigés qu'en anglais. J'ai mentionné sur ce blog, en janvier dernier (et il y a quelques jours) le plan impressionnant de réduction des traductions de la Commission Européenne au moment même où l'Europe s'élargit de 11 à 20 langues officielles. Il aurait peut-être mieux valu réduire le nombre de documents ?

On se dirige manifestement vers une Europe linguistique à trois vitesses : l'anglais, le coeur linguistique, au centre de tout ; le français et l'allemand, encore présents de temps en temps--ce sont des "gros", il faut les ménager ; et puis les autres. Même le Traité, pourtant sous les projecteurs de l'Europe entière, n'échappe pas à la règle des trois vitesses : une version hypertexte, cliquable et navigable (pardon browsable...) a été rendue disponible pour l'anglais tout d'abord (alors que les anglais seront quasiment les derniers à voter), puis pour le français et l'allemand avec retard. Quant aux autres langues, elles doivent se satisfaire pour l'instant d'une copie du Journal Officiel de l'Union du 16 décembre 2004, composée de 50 fichiers pdf, et, comme je le faisais remarquer il y a quelques jours, elles sont assez mal-traitées : les traductions lettone et polonaise contiennent tellement d'erreurs que la Lettonie a suspendu le processus de ratification et que l'opposition polonaise demande à faire la même chose.

la langue de shakespeare
Langue de Shakespeare

J'ai dit 20 langues officielles ? Voyons si le Traité parle de langues officielles. Il en est fait une seule mention, dans la partie IV, au Protocole 1 (dont on nous dit bien qu'il fait partie intégrante du Traité, voir Article IV-442).
Article 4
Un délai de six semaines est observé entre le moment où un projet d'acte législatif européen est mis à la disposition des parlements nationaux dans les langues officielles de l'Union et la date à laquelle il est inscrit à l'ordre du jour provisoire du Conseil en vue de son adoption ou de l'adoption d'une position dans le cadre d'une procédure législative.
A nouveau, je ne suis pas plus juriste que la plupart d'entre vous, mais j'attendrais quelque part une définition, et si possible une liste de ces langues officielles. Eh bien, grande déception. Il n'y a pas d'autre mention des langues officielles dans le traité ! Absolument incroyable, mais je vous engage à aller vérifier de vous-même.

Les sites de la Commission nous parlent bien pourtant des 20 langues officielles...

Alors, y a-t-il des langues officielles dans l'Union ou pas ? Si oui, on aurait aimé une formulation claire : "Les langues officielles de l'Union sont ...". Au lieu de cela, il faut se livrer à un jeu de pistes, et comprendre ce que les rédacteurs ont voulu dire à travers de savantes circonlocutions.

langue de bois
Langue de bois

Voici l'article clé :
Article I-10 - La citoyenneté de l'Union
[...]
2. Les citoyens de l'Union jouissent des droits et sont soumis aux devoirs prévus par la Constitution. Ils ont:
[...]
d) le droit d'adresser des pétitions au Parlement européen, de recourir au médiateur européen, ainsi que le droit de s'adresser aux institutions et aux organes consultatifs de l'Union dans l'une des langues de la Constitution et de recevoir une réponse dans la même langue.
Cette formulation revient à diverses reprises, et c'est la seule qui ressemble un tant soit peu à la notion de langue officielle, mais avec une portée bien plus réduite, puisqu'il ne s'agit ici que des relations entre le citoyen et les institutions. Le seul autre aspect important qui se rattache à la notion de langue officielle me semble être celui de la rédaction du Traité lui-même, et c'est l'article IV-448 qui explique ce que sont ces fameuses langues de la Constitution :
Article IV-448 - Textes authentiques et traductions
1. Le présent traité rédigé en un exemplaire unique, en langues allemande, anglaise, danoise, espagnole, estonienne, française, finnoise, grecque, hongroise, irlandaise, italienne, lettonne, lituanienne, maltaise, néerlandaise, polonaise, portugaise, slovaque, slovène, suédoise et tchèque, les textes établis dans chacune de ces langues faisant également foi, sera déposé dans les archives du gouvernement de la République italienne, qui remettra une copie certifiée conforme à chacun des gouvernements des autres États signataires.
On remarquera que la liste ci-dessus comprend 21 langues. Or, jusqu'à présent il y avait 20 langues officielles... Cherchez l'erreur ! Vous ne voyez pas, eh bien c'est simple, c'est la langue irlandaise (gaélique irlandais) qui s'est glissée au milieu des 20 autres. C'est normal, car bien que n'étant pas une langue officielle de l'Union, elle bénéficiait d'un statut spécial pour la rédaction des traités et de certains textes officiels. Les irlandais y gagnent, puisque leur langue a maintenant un statut identique aux 20 autres. J'en suis d'ailleurs heureux pour eux ! Est-ce que c'est pour cela qu'on a évité soigneusement de dire les langues officielles de l'Union sont...? Si l'on avait mis 20 langues officielles, les irlandais auraient été fort mécontents et si l'on en avait mis 21, alors la porte était ouverte aux revendications des catalans, des basques, etc. (et je ne parle même pas des bretons, des corses ou des occitans...).

Mais je n'ai pas été invité aux débats, et je fais peut-être un procès d'intention. En tous cas ce compromis, peut-être nécessaire, me semble aboutir à une situation dangereuse. Je ne puis que conclure qu'il n'y a plus de langues officielles dans l'Union (sinon pourquoi le texte fondateur ne les définirait-il pas ?). La citation du Protocole 1 semble être un un résidu fossile d'une rédaction antérieure oublié au fin fond d'une annexe (et elle ne définit d'ailleurs rien).

Je ne vois pas très bien où sont les autres aspects qu'on serait en droit d'attendre des langues officielles de l'Union : par exemple dans quelles langues seront rédigées les lois, les directives, les conventions et traités ultérieurs, dans quelles langues se feront les débats au parlement, etc. Je lis peut-être mal (il faut dire que la bête est imposante, et l'on peut s'y perdre). On pourra dire aussi que c'est le statut quo qui s'applique par défaut... Oui, mais pour combien de temps ? Une constitution est faite pour durer des décennies, voire des siècles (et celle-ci sera difficile à réviser, comme on le sait, à cause du mécanisme de "double unanimité" : celle des Chefs d’Etat et de Gouvernement suivie la ratification unanime des Etats-membres). Si des difficultés surgissent, et que l'anglais conquiert peu à peu tous les terrains officiels, qui pourra protester dans quelques décennies ?

langue morte
Langue morte

Peut-être que certaines arguties juridiques permettent d'affirmer que les langues officielles existent bien toujours, qu'elles ne sont pas menacées, qu'elles ne le seront pas plus dans 50 ans. Je n'en sais rien, mais sur ce point, qui engage des générations, il m'aurait paru souhaitable que la Constitution grave les choses dans le marbre, comme c'est son rôle, et nous protège solidement contre un danger de dérive linguistique, qui est hélas largement enclenché. L'omission de la notion de langue officielle au niveau constitutionnel me paraît être un signal extrêmement préoccupant pour l'avenir de l'Europe.

28 Commentaires:

Blogger VinZ a écrit...

Vous parlez des langues, mais beaucoup d'autres choses sont évoquées dans la Constitution sans y être définies clairement : qu'est-ce qu'un "service d'intérêt économique général" ?
Qu'est-ce qu'un pays européen ? La Constitution dit que l'UE est ouverte aux pays européens. Mon dictionnaire me dit que la Turquie est un "pays d'Asie occidentale". Et pourtant...

17 mai, 2005 11:18  
Anonymous Anonyme a écrit...

Votre analyse est intéressante. Je partage votre sentiment concernant les boyaux et les vessies d'animaux, ça m'a aussi fait rigoler quand j'ai vu ça. Vous auriez pu aussi citer la centrale nucléaire de JeSaisPlusOù en Slovénie, dont il est aussi question dans les annexes.

Au niveau linguistique, personnellement je n'arrive pas à comprendre pourquoi l'espéranto n'est pas reconnu au niveau européen. Ce serait pourtant un moindre mal que ce pénible "englissement" auquel nous assistons. J'ajoute que la dérive vers le "tout-espéranto" me semble beaucoup moins proche temporellement, et serait plus facile à arrêter si elle devait surgir un jour, que la dérive vers le "tout-anglais".

Mi salutas vin kore,
Je vous salue cordialement,

Grégoire

17 mai, 2005 14:19  
Anonymous Anonyme a écrit...

Une des questions que je me pose, mais qui sort du cadre linguistique stricto sensu, est : est-ce que de tels "oublis" auraient-eu lieu si la Constitution avait été rédigée par une assemblée constituante représentative de tous les futurs pays membres et dont le mandat aurait été limité à la seule rédaction de la Constitution ?
Au niveau linguistique notamment, la question ne se serait-elle pas posée d'elle-même dès les premiers échanges ?

17 mai, 2005 14:26  
Blogger Vicnent a écrit...

Jean !!!!!!
pas trop souvent les articles et pas si longs !!!! à te lire, je ne bosse plus !!!!!!!! J'adore !!!!!!! Merci !!!!!!!

17 mai, 2005 14:49  
Anonymous Anonyme a écrit...

Une des principales difficultés de lecture de cette constitution (mais c’est le cas de nombreuse constitutions, hormis dans les pays latin où la coutume est de faire des constitution « courtes et obscure ») est qu’elle nécessite une certaine connaissance des textes et traités européens passés.
En effet, comme de principe, un tel texte ne remet pas en cause les textes précédents. Je veux dire par là que, par une espèce de hiérarchie, son silence sur des points faisant parti de textes passés signifie tout simplement que ce sont ces textes qui restent applicables.
Et en la matière, le problème des langues a été très tôt résolu (car manifestement, la linguistique était plus une priorité pour nos anciens dirigeants…). L’Europe est et reste donc une entité multilingue. Le fondement est, et de manière clairement définie dans les premiers traités de l’Union, que tous les textes (traités, lois, ordonnance, décisions, discussions…) doivent être disponibles si ce n’est traduits dans toutes les langues officielles des états membres.
Alors il est vrai que de plus en plus de textes, en particulier les textes de travail, ne sont plus que peu traduits. La raison en est simple : le coût de la traduction est un des principaux budgets de fonctionnement de l’Union. Mais les textes principaux restent traduits systématiquement dans toutes les langues officielles des pays de l’Union.
Quelles sont-elles me demanderez-vous ? Et bien tout simplement les langues officiellement reconnues comme langue(s) nationale du pays adhérant au moment de son adhésion ! Ainsi, toute langue admise officiellement par un pays adhérant deviendra une langue officielle de l’Union.
Qu’en est-il d’une langue reconnue postérieurement à son adhésion par un pays ? Et bien c’est l’exemple de « la 21ème langue » dont vous parlez… Une brève négociation avec les autres pays membres et la voilà « langues officiel de l’Union » !
Alors il reste toujours ce problème de disponibilité des traductions… Les textes non traduits sont censés l’être… Une action simple en ce sens est de demandé un de ses textes. A partir du moment où une personne (un Etat membre, un représentant ou un élu, un simple citoyen…) a droit à demander qu’un de ces textes lui soit communiqué, il devra lui être dans la langue officielle de son choix (ce qui forcera de fait les institutions de l’Union à traduire le texte si cela n’a pas été fait).

17 mai, 2005 15:00  
Anonymous Anonyme a écrit...

Et quel est le texte qui dit que chaque texte doit être écrit dans la langue officielle de chaque pays? Il ne faut pas oublier que si cette constitution est adoptée, les textes fondamentaux antérieurs sont annulés. Espérons que cette disposition n'était pas dans un de ces traités... (ou espérons aussi que le non l'emporte... ;-)
Et de toute manière, ça ne change rien, cette précision quant aux langues aurait dû être dans la "constitution". C'est tout de même autrement important que les boyaux de vache.

17 mai, 2005 17:24  
Anonymous Anonyme a écrit...

Autre question qui se pose : s'il est facile de trouver un interpète anglais --> allemand ou français --> portugais, recrute-t-on facilement une telle personne dans le sens lette --> portugais ou slovaque --> finnois ? Comment donc se feront les discussions et délibérations au Parlement ? Combien d'interprètes faudra-t-il ? J'imagine le scénario linguistique catastrophique dans lequel on traduira les propos d'un député grec en anglais d'abord puis en lette pour permettre la discussion.

Sans politique linguistique précise, l'Europe confirme à mon avis l'anglais dans son rôle de lingua franca dénaturée.

17 mai, 2005 20:26  
Blogger Luc a écrit...

Jean, toujours aussi passionnant.

Juste un point de détail, mais qui a son importance : La procédure de révison de la constitution est détaillée à l'article IV-443 (page 84 du document distribué à tous les français). Il n'y a pas là de "double mécanisme de ratification à l'unanimité" : juste une majorité simple est requise, qui doit ensuite être ratifiée par tous les états (oui, ici, unanimité requise), mais si, au bout de 2 ans, les quatre cinquième des états membres ont ratifiés, on peut conclure sans a voir besoin de l'unanimité.

Donc, je pense qu'il faut arrêter de dire partout que cette constitution est "inrévisable". Elle est déjà très bien comme elle est, malgré ses imperfections. Et, une fois votée, on pourra travailler avec ce nouvel outil pour l'améliorer progressivement pour arriver un jour à "la constitution idéale" (avec ou sans boyaux et animaux morts ...).

17 mai, 2005 20:28  
Blogger Jean Véronis a écrit...

Luc> Merci pour cette réaction. J'espère que je n'ai pas dit "inrévisable". Elle sera simplement "difficile à réviser", ce qui est normal et nécessaire: ce n'est pas à mon avis un argument valable pour le "non". Les constitutions ne doivent pas être à la merci des vents et marées.

Je vois néanmoins que ma formulation n'est pas des meilleures. Je remplace par -- "à cause du mécanisme de "double unanimité" : celle des Chefs d’Etat et de Gouvernement suivie la ratification unanime des Etats-membres", qui est plus correcte. J'aime bien quand les lecteurs forcent à préciser les choses. C'est la beauté des blogs. Et ce qui serait sympa c'est qu'on puisse garder l'historique, comme pour les Wikis. Ca viendra peut-être!

17 mai, 2005 20:49  
Blogger Jean Véronis a écrit...

Vincent> C'est vrai, c'est un gros problème. A l'heure actuelle beaucoup de traductions se font de façon indirecte, avec l'anglais (ou putôt un sabir à base anglaise) comme pivot, ce qui augmente les erreurs... On ne peut pas imaginer d'avoir des traducteurs pour chaque couple de langue, car il y en a 21 x 20 = 420, et même en ne considérant pas le sens, il y a quand même 210 paires !

Mais on pourrait imaginer quelques autres solutions : avoir trois ou quatres langues pivots (et non une seule) (au hasard : allemand, anglais, espagnol, français ?) et avoir un plan d'urgence à coup de millions d'euros pour former des traducteurs trilingues ou quadrilingues, avec un effort tout particulier sur les nouvelles langues (letton, maltais, etc.). Après tout, on a bien suventionné à coup de milliards les infrastructures en Grèce ou en Irlande lors de leur adhésion. Et ça a marché.

Pour cela il faudrait une véritable "politique linguistique", comme vous l'avez souligné. On en est loin.

17 mai, 2005 20:57  
Anonymous Anonyme a écrit...

Cette question a déjà fait l'objet de réflexions approfondies, qui évidemment n'incitent pas à l'indulgence pour la "confiscation européenne", car nous sortons là de la démocratie.
Ancien Vice-président de la Société française des traducteurs, linguiste et co-fondateur du Forum Francophone International, je pourrais vous adresser quelques textes, si les fichiers joints étaient admis. Notamment la résolution finale du Forum Social Mondial de Porto Alegre II, que j'ai co-rédigée avec Robert Guédiguian, Katsuo Matsuda, Anton Kouznetzov, et al.. Egalement l'Appel de Villers-Cotterêts du 7 octobre 2001, mes articles "Penser la langue en politique", paru dans la revue "Libres", N°2, mai 2004, "Géopolitique de la langue française", et "De la pertinence des notions d'espace géographique dans les langues", paru dans la revue "Panoramiques", n° 69, éd. Corlet-Marianne, 4ème trimestre 2004, "L'avenir s'écrit aussi en français".
Inutile de dire que je suis assez peu partisan de l'idéologie "européenne", idéologie impériale fatiguée. Que la France, dans l'Histoire, et pour des raisons anthropologiques qui remontent très loin, s'est construite précisément contre cette "logique" de l'agglutination de proximité (encore plus aberrante à l'ère des réseaux, d'Internet...). La notion de citoyenneté à la française, par construction non tribale et anti-impériale, est antinomique avec la vassalisation "européenne". On sait très bien d'ailleurs que cette idée de gouvernance mondiale, portée depuis plus d'un demi-siècle par les "élites" globalisées, cherche à mettre fin à la République et à la démocratie... et n'a que faire des langues autres que l'anglais. Nous sommes en plein George Orwell.
"L'Europe" est en réalité un psychovirus destiné à faire croire aux Français qu'ils sont plus proches des Estoniens que des Québécois, des Marocains ou des Sénégalais. Parle-t-on d'industrie ? Voyez Renault-Nissan (qui est d'ailleurs revenu sur le tout anglais). Rien à voir avec "L'Europe". Peut-être un jour serons-nous contents de faire un avion avec le Brésil et le Québec sans avoir besoin de l'autorisation de gnomes de Brussels ou de Francfort non élus...
L' "Europe" booléenne (zéro ou un, on en est ou on n'en est pas) cherche à nous étouffer malgré ses contradictions insurmontables. De l'air ! De l'air ! Mehr Licht !

17 mai, 2005 21:43  
Anonymous Anonyme a écrit...

Concernant les couples de langues, les traducteurs n'ont pas attendu qu'on leur en donne l'autorisation pour utiliser des langues pivots, et pas uniquement l'anglais. Par contre, le sens de la traduction est une donnée primordiale, un traducteur de la langue B vers la langue A n'est a priori pas capable de traduire de la langue A vers la langue B. Dans ce genre de débat, il importe de prendre en compte la réalité de la traduction et pas uniquement l'idée qu'on s'en fait.

Par ailleurs, je ne vois pas comment la constitution d'une union appelée à s'élargir pourrait lister d'emblée la liste des langues officielles de l'union, ce qui serait limitatif donc inacceptable.

Imposer dans la constitution que tous les textes soient traduits dans toutes les langues n'est pas envisageable, car c'est irréaliste. Cela conduirait à traduire n'importe comment, et une mauvaise traduction est plus difficile à lire qu'un bon original. La traduction des modes d'emploi est assez intéressante de ce point de vue.

La question linguistique est très délicate, et une constitution si bonne soit-elle n'apportera jamais la solution idéale. Il faut allier le fait que toutes les langues sont également respectables et le fait qu'elles ne peuvent pas, pour des raisons pratiques évidentes, jouer toutes le même rôle au sein de l'Union. Si l'on en dit trop sur les langues, on va augmenter le temps consacré à se quereller sur le fait qu'on n'a pas respecté la constitution en omettant de traduire tel texte dans telle langue. Même si la question des langues me passionne, il faut trouver une juste mesure.

Quant à donner un rôle particulier à une langue particulière, mieux vaudrait que ce soit une langue non nationale, l'espéranto, plutôt qu'une langue nationale (ce qui viole l'article II-81 1). Tion mi evidente plej subtenas, sed ni devas ankorau multe labori por akceptigi tiun ideon (en français : je ne peux que soutenir cette idée, mais il y a encore beaucoup de travail à faire pour la rendre acceptable).

17 mai, 2005 23:36  
Anonymous Anonyme a écrit...

1.Le traité en vigueur actuellement impose aux institutions européennes quelles qu'elles soient de répondre à un "citoyen" européen dans sa langue (à lui, au citoyen). Or à plusieurs reprise j'ai été confronté à des refus du Parlement européen : les documents de travail, certaines réunions n'existent qu'en anglais et au mépris du traité ne seront pas traduits même à la demande pour des raisons d'opportunité, de coût, etc.
2. les néerlandophones ont attendu six mois avant de disposer d'une version du projet de TCE. Le sénat belge a ratifié le texte au debur du mois de mai. Donc les Flamands ont eu quatre à cinq mois pour "digérer" le texte, gageons que les sénateurs flamnds qui l'ont lu doivent se compter sur les doigts d'une main ! Est-ce bien sérieux.
3. Le TCE est de facto irrévisable. Il faut arrêter de jouer avec des clauses qui n'existent pas : il faut l'unanimité, pas les quatre cinquième. Sans unanimité, il y a une "crise", pourquoi attendre une crise à chaud ? Pourquoi se forcer à arriver à une telle extrémité absolument prévisible ? cela n'aura comme effet que de renforcer l'extrême droite anti-parlementaire, surtout si la question des langues envenimet la situation. Pensez-vous que les Flamands de Belgique après avoir combattu un siècle pour faire de leur langue l'idiome dominant en Belgique, accepterons de bon coeur d'abiquer même pour l'anglais ? Où pensez-vous que le tristement Vlaams Blok pêche ses voix ?

18 mai, 2005 01:13  
Anonymous Anonyme a écrit...

à Jean et JCD :

Je reviens sur la précision de Luc à propos de la révision du traité : il n'y a nullement besoin de l'unanimité des chefs de gouvernements ! Si le Parlement propose une révision, les chefs d'Etat et de gouvernement se prononcent à la majorité simple. Pas d'unanimité !

Ensuite, il faut que tous les pays membres ratifient, ce qui peut être assimilé à une forme d'unanimité. Même s'il est prévu de ne pas simplement abandonner un projet qui n'aurait pas été ratifié par moins d'un cinquième des pays membres.

C'est quand même plus facile à réviser que le traité de Nice...

18 mai, 2005 13:41  
Anonymous Anonyme a écrit...

Jean et Jérôme k :

L'Irlandais est la seule langue d'Etat de l'Irlande républicaine, depuis sa création. L'anglais a en fait un statut inférieur à l'irlandais... en droit du moins. Dans la pratique, c'est évidemment l'inverse. L'Irlandais est donc une langue minoritaire dont le statut légal est plus élevé que celui de la langue majoritaire. C'est à ma connaissance un cas unique en Europe.

Les Irlandais ont accepté lors de leur adhésion en 1973 que les textes législatifs et réglementaires ne soient pas traduits en irlandais, et que l'irlandais ne soit pas une langue de travail officielle de la Commission. D'où les 20 "langues officielles".

En revanche, les traités européens et donc la Constitution soient traduits en irlandais - la Constitution irlandaise elle-même ne fait foi que dans sa version irlandaise, la version anglaise n'en est qu'une traduction sans valeur juridique. D'où les 21 "langues de la Constitution".

En principe, une traduction de la Constitution dans les nouvelles langues qui s'ajouteront à cette liste (roumain, bulgare, croate avant 2010) devrait être jointe aux exemplaires déposés à Rome. Un protocole additionnel aux traités d'adhésion proposera une liste révisée des "langues de la Constitution".

18 mai, 2005 13:51  
Anonymous Anonyme a écrit...

désolé de poster en anonyme.

vous etes invités à passer du bon côté : upliftment.canalblog.com

18 mai, 2005 16:42  
Anonymous Anonyme a écrit...

typo :
Une constitution est faire pour durer des décennies, voire des siècles

faire -> faite

(désolé mais j'ai du relire la phrase plusieurs fois avant de comprendre ;) )

18 mai, 2005 18:13  
Blogger Jean Véronis a écrit...

François LO JACOMO> je ne vois pas comment la constitution d'une union appelée à s'élargir pourrait lister d'emblée la liste des langues officielles de l'union, ce qui serait limitatif donc inacceptable

L'article IV-448 liste bien les 21 "langues de la Constitution". Il faudra ajouter un "protocole additionnel" comme le signale Philippe Magnabosco : En principe, une traduction de la Constitution dans les nouvelles langues qui s'ajouteront à cette liste (roumain, bulgare, croate avant 2010) devrait être jointe aux exemplaires déposés à Rome. Un protocole additionnel aux traités d'adhésion proposera une liste révisée des "langues de la Constitution".

Donc l'appellation "langues officielles" n'aurait rien changé...

18 mai, 2005 19:52  
Anonymous Anonyme a écrit...

Votre billet est très intéressant. Il me remémore cet article du monde diplomatique de janvier sur l'anglais et son hégémonie :

http://www.monde-diplomatique.fr/
2005/01/CASSEN/11819
?var_recherche=langues

18 mai, 2005 22:01  
Anonymous Anonyme a écrit...

Il y a 20 ans (en 1984 exactement) on m'avait proposé de travailler à Luxembourg. Il s'agissait du gros ordinateur consacré à la gestion des réunions européennes, interprètes de conférence, salles de réunion équipées pour la traduction simultanée. Le système établissait l'emploi du temps des interprètes et l'affectation des salles, en fonction des réunions à tenir, préférences linguistiques des participants etc ... en tenant compte du fait que les trois sites (Bruxelles, Luxembourg, Strasbourg) étaient séparés par plusieurs heures de trajet. C'était à l'époque le plus grand système d'"affectation globale" informatisé du monde, avec (de mémoire) près de sept mille interprètes agents des Communautés ou indépendants, pour dix pays et huit langues. Très au-delà de ce que doit gérer une grande compagnie aérienne (équipages et avions à affecter aux vols). Cela coûtait cher mais personne ne discutait le prix. Tout au plus on plaisantait sur la nécessité d'assurer une traduction simultanée entre le danois et le grec pour une réunion sur les rêgles de la pêche hauturière, alors que hors de la salle de conférence le Grec draguait la Danoise en anglais. On voyait régulièrement paraître des offres d'emploi pour des interprètes et des traducteurs. Aujourd'hui, le problème s'est compliqué (20 langues pour 25 pays). L'Union Européenne est encore assez riche pour payer les moyens de la solution. Apparemment, ce n'est plus une priorité politique.

19 mai, 2005 10:06  
Anonymous Anonyme a écrit...

Pour moi, il est clair que "langues de la Constitution" signifie que le texte de la Constitution est officiel dans chacune de ces langues, et que les conséquences d'éventuelles erreurs de traduction doivent être arbitrées judiciairement. "Langues officielles" signifie une obligation d'utiliser ces langues dans un certain nombre de situations, et pas uniquement pour la Constitution. Il est évidemment indispensable de définir les langues de la Constitution, car sans ces langues la Constitution n'existe pas. Par contre, définir les langues officielles nécessite de préciser quelles sont les situations où l'on a obligation d'utiliser ces langues. Ce serait une bonne chose qu'on y parvienne, certes, mais en matière de langue, c'est souvent la pratique qui impose ses règles, et si l'on attend que la situation linguistique de cette nouvelle entité Union Européenne soit stabilisée pour lui donner une Constitution, on attendra trop longtemps. Or, comme dans le domaine de l'écologie, "le temps presse, ça chauffe...". La Constitution donne naissance à une nouvelle entité dont nous avons besoin pour survivre aux séismes de l'histoire : ce n'est pas elle qui causera ces séismes ni qui les arrêtera, mais c'est une référence importante. La survie dans le monde de demain dépend des rapports de force, notamment des nombres d'individus, et la France à elle seule ne fait pas le poids. Une fois la Constitution adoptée, le problème linguistique doit être traité car il est effectivement primordial, mais que la Constitution soit approuvée ou rejetée, il se posera exactement dans les mêmes termes car la Constitution ne dit rien qui interdise de résoudre ce problème de telle ou telle manière.

21 mai, 2005 08:40  
Anonymous Anonyme a écrit...

Juste une petite remarque en passant, mais qui a son importance : Le TCE n'est PAS une constitution. Ce n'est pas moi qui le dit, c'est Robert Badinter, a priori il s'y connait. Voir son interview au figaro du 25 avril :
http://www.lefigaro.fr/cgi/edition/genimprime?cle=20050418.FIG0304

21 mai, 2005 12:14  
Anonymous Anonyme a écrit...

Je suis entièrement d'accord avec ceux qui ont précisé qu'il est au fond absurde de mentionner les langues officielles dans une constitution qui, a priori, n'est pas immuable. En plus, il n'y a pas des masses de pays qui réfèrent à une langue officielle dans leur constitution (comme l'Espagne ou la France). Même un pays comme la Belgique avec les tristement célèbres problèmes linguistiques ne précise pas les langues officielles dans sa constitution.

23 mai, 2005 15:29  
Anonymous Anonyme a écrit...

gab :
Si le "traité établissant une constitution pour l'Europe" n'est pas une constitution, pourquoi, au lieu de lire TCE, lit-on dès l'article 1-1 "Inspirée par la volonté des citoyens... la présente Constitution établit..." ?

Vinz :
Un SIEG, il paraît que c'est exactement la même chose qu'un service public, expression que la concurrence libre et non faussée voue à l'obsolescence, "public" étant universellement compris comme "privé" comme dans "public school".
Curieusement il y a quand même une mention de "service public" dans le TCE.

Grégoire :
Quant à l'espéranto, pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ? Ou bien Genèse XI 1-9, "rien ne les empêchera d'exécuter tout ce qu'ils ont projeté.. Confondons leur langage en sorte qu'ils n'entendent point le langage l'un de l'autre".

Que faut-il penser de la disparition de l'exception culturelle ?

24 mai, 2005 03:43  
Anonymous Anonyme a écrit...

À Anne CG : toute l'ambiguité du TECE est là, il n'empêche que le TECE n'est pas une constitution, contrat que se donne un peuple souverain, mais un traité entre états souverains. C'était juste une remarque en passant, qui n'a rien à voir avec le billet actuel, donc je m'arrête !

24 mai, 2005 15:50  
Anonymous Anonyme a écrit...

Gab :
Je crois que cette remarque a à voir avec le billet actuel : le TCE brille du côté de l'imprécision et des glissements sémantiques. Etant donné le temps qu'ils ont eu pour rédiger, ce flou-là ne me semble pas innocent.
Cela dit, il est vrai que l'UE n'étant pas une nation,le TCE ne peut être qu'un traité. Mais peut-on rattacher à un traité une charte des droits fondamentaux ? Et si oui, pourquoi se sont-ils contentés d'une déclaration "solennelle" à Nice ?

24 mai, 2005 16:56  
Blogger Jean Véronis a écrit...

Constitution ou Traité : ma foi, je ne suis pas spécialiste de droit constitutionnel, mais les rédacteurs l'étaient (enfin j'espère...). Or, ils ont choisi de l'appeler "Traité établissant une Constitution" et ils réfèrent au texte 963 fois comme la Constitution... C'est peut-être une erreur politique d'avoir choisi ce terme -- le débat aurait sans doute été moins passionné s'ils avaient appelé ça "traité" tout court -- mais c'est trop tard !

24 mai, 2005 21:02  
Anonymous Anonyme a écrit...

agür.

31 mai, 2005 22:24  

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