Jean Véronis
Aix-en-Provence
(France)


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vendredi, mars 04, 2005

Lexique: Trop chaud pour travailler

...sans doute dans l'hémisphère sud, à l'île de la Réunion par exemple,
où je sais qu'il y a des lecteurs assidus (un petit bonjour en passant !).



On m'a demandé, à la suite de mon billet "Du blé pour les chaumeurs", si chaumage et chômage avaient la même étymologie. Eh bien, non... et il ne faut pas confondre le droit de chaumage et les droits des chômeurs !

Le chaumage, c'est l'action de couper le chaume, ou le temps auquel on le coupe (Dictionnaire de L'Académie française, Sixième édition, 1835). Le droit de chaumage c'était la liberté laissée aux pauvres dans les temps anciens de ramasser le chaume, c'est-à-dire les tiges du blé laissées par les moissonneurs. Comme le suggère le vers d'Ovide qui a indirectement inspiré les Googlers (De stipula grandis acervus erit), on pouvait encore en tirer une valeur, comme combustible, comme fourrage, et, évidemment comme couverture des toits : on connaît les fameuses chaumières, maisons aux toits de chaume réalisés par des chaumeurs (ou chaumiers). La profession s'est un peu perdue, mais il y a un regain d'intérêt pour ces suberbes toitures à l'ancienne dans certaines régions, pour des raisons d'esthétique, d'harmonie avec l'environnement, et peut-être que le métier renaîtra (il y a même une Association Nationale des Couvreurs Chaumiers, basée à Evreux).


Voir le site de l'association
Alors le chaume ? Le mot vient du latin calamus, qui désignait le roseau (Acorus calamus est encore le nom scientifique du roseau aromatique ou jonc odorant). Le mot calamus a fini par désigner la tige des plantes en général et des céréales en particulier (en compétition donc avec stipula, qui nous a laissé l'éteule). De la tige au chalumeau ou au calumet, il n'y avait qu'un pas. On lui doit aussi le calame, morceau de roseau que l'on utilisait pour écrire dans l'Antiquité, et qui est toujours l'instrument traditionnel de la calligraphie arabe.


Voir le site sur la calligraphie du Lycée Le Verger (Ile de la Réunion)
Mais du calame avec sa boîte à encre au calmar il y avait quand même un sacré plongeon... Remarquez, quelques calmars grillés avec une petite crème caramel en dessert, ça n'est pas forcément désagréable après une bonne baignade... Le lien avec le caramel est peut-être un peu plus obscur même si le TLFI nous dit que ça vient de calamellus (chalumeau) à cause de la forme de tige que prend le sucre qui fond. Moui... enfin, c'est bon quand même.

Quand au chômage, même si certains l'écrivent chaumage sur leur CV (!), il n'a rien à voir avec les chaumes. Chômer vient de caumare, se reposer pendant les fortes chaleurs -- caumare vient du grec kauma, chaleur, qui vient lui même de kaiein, brûler, mettre le feu... Comme nous le rappelaient les correcteurs de laspus calami (lapsus clavi ?) du Monde sur Langue sauce piquante il y a quelque temps, l'encre vient aussi du feu grec (ainsi que l'encaustique, l'holocauste). Le calmar est ainsi un cousin à la fois du chaumage par le calame, et du chômage par le feu. Avouez que ça vous seiche !


Le nouveau logo à 2,4 millions d'euros de l'ANPE
(ce ne sont pas les chômeurs qui se sont fait du blé)
Et chaud dans tout ça ? Eh bien, ça n'a rien à voir. Ni chaux, ni calamine, et ce n'est pas avec le calame qu'on se fait des cals. Dans un autre billet peut-être... si je ne remets pas aux calendes ! Mais en attendant, je m'en vais faire une petite sieste au calme (de kauma, chaleur) car ce tourbillon de calembredaines m'a bien fatigué. Ici quand on rate la sieste, c'est une vraie calamité (fléau qui détruit les tiges des blés).

4 Commentaires:

Anonymous Anonyme a écrit...

Trés interressant, l'idée que chômage vient de l'action de faire un toit en chaume est vraiment trés répendue il me semble.
Jusqu'a la lecture de cet article j'en étais moi meme persuadé.

Allez hop je mets cet article dans notre revue de presse :
http://www.contribuables.org/publications/coupures-de-presse.html

04 mars, 2005 11:58  
Anonymous Anonyme a écrit...

Un scribe désoeuvré, son calame en main, réunit donc les deux racines de chaumage et chômage...

04 mars, 2005 14:51  
Anonymous Anonyme a écrit...

Rhôôô...
Tout cela est passionnat! heureusement que vos derniers posts me font redécouvrir ces archives!

Et une petite remarque de biologiste : chez les calmars, la "coquille" calcaire qui porte le nom d'os de seiche chez la seiche est réduite à une fine structure cornée transparente, appellée... plume!
Comme quoi le calmar porte bien son nom : entre l'encre et la plume, il contient tout le nécessaire du scribe.

30 mai, 2007 21:11  
Blogger Jean Véronis a écrit...

Abie> L'encre et la plume... C'est vrai, j'avais oublié. En anglais aussi, c'est "pen", su latin "penna", la plume. Ca doit remonter loin cette analogie... Excellent !

30 mai, 2007 21:36  

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