Google: Du blé pour les chaumeurs
Voici la réponse à la devinette de la semaine dernière, à propos de la maxime qui figure sur la "Toolbar" de Google, De parvis grandis acervus erit. Je rappelle le contexte. Les Googlers l'ont, semble-t-il, empruntée à un obscur poète "emblémiste" du XVIème siècle, Geffrey Whitney, qui l'a lui-même empruntée à Claude Paradin dans ses Devises historiques (j'ai découvert cette deuxième partie grâce à un commentaire sur mon billet, beauté des blogs !). Ce superbe manuscrit est téléchargeable chez Gallica (à l'époque les notions de plagiat, propriété intellectuelle et... droits d'auteurs n'étaient pas exactement les mêmes). Comment les "Googlers" sont tombés sur cette maxime, je l'ignore... ils ne paraissent ni latinistes, ni philologues (dans la première version de la Toolbar, il y avait même une magnifique faute d'orthographe -- a cervus en deux mots...).
Quoi qu'il en soit, la devinette ne portait pas sur cette filiation, mais sur une curiosité qui, en fait se dédouble : Whitney comme Paradin, utilisent pour illustrer cette maxime une gravure faite de brins de blé qui s'agglomèrent pour former une gerbe. Je reproduis ci-dessous la gravure de Paradin (page 210). On peut constater que Whitney n'a pas repris que le texte !
La question était : pourquoi précisément du blé ? Bien des images et des métaphores seraient possibles pour représenter l'accroissement de la richesse à partir de peu, comme les petits ruisseaux qui forment de grandes rivières...
En fait, la maxime est une adaptation d'un vers d'Ovide, De stipula grandis acervus erit. Au XVIème siècle, c'est une mode chez les poètes que de s'inspirer des Classiques, de les citer ou les adapter. Il y avait d'ailleurs un indice sur la page de Whitney, mais en quelque sorte un indice trompeur puisqu'il renvoyait à un autre passage d'Ovide, justement à la métaphore des petits ruisseaux...
Le vers De stipula appartient à l'Elégie VIII du livre I des Amours, dont on peut lire le superbe texte parallèle latin-français ici. Stipula en latin désigne la tige du blé, qui reste après la moisson, c'est-à-dire le chaume. Le mot a donné en français l'éteule, qui est un autre mot pour le chaume, le verbe étioler, ainsi que le mot stipule, qui a pris un sens technique différent. Dans certaines régions, des gens s'appellent encore Esteulle, Estioulle, Estublier : ceux qui ramassaient les chaumes après la moisson, ou ceux qui couvraient les toits...
D'où l'image du blé. Mais cette image est-elle bien fidèle ? Stipula, ce n'est pas le blé avec ses superbes épis, mais le chaume, ce qui reste après la moisson, la partie la moins noble, la plus dure à ramasser... Je lis le vers différemment : en ne négligeant pas ce que les autres ont laissé, en acceptant les tâches les plus ingrates, on peut encore construire de grandes choses. Avis aux chaumeurs...
Quant à Google, savez-vous qu'il existe une interface Google Latina ?
Cliquez et vous verrez qu'Ovide lui-même a adapté son propre vers...
Mais hélas, le latin n'est que la langue de l'interface. Google ne propose pas une recherche restreinte aux pages latines (c'est dommage, on pourrait chercher les occurrences de stipula). Pourtant, c'est faisable : je cite une fois encore le beau logiciel TextCat de Gertjand Van Noord (démo en ligne, libre et téléchargeable), qui sait faire cette détection de langue. Ce serait un formidable outil de recherche, qui ne coûterait pas très cher au premier moteur qui ferait l'effort et pourrait lui rapporter gros en terme d'image. Peut-être un challenger ;-) saisira-t-il la métaphore : en ramassant les chaumes, moins nobles que les blés, on peut encore faire de beaux profits... A la vitesse où Google s'active, il faut que les autres moteurs se dépêchent pendant qu'il reste quelque chose à glaner, sinon ils vont se retrouver sur la paille !
Quoi qu'il en soit, la devinette ne portait pas sur cette filiation, mais sur une curiosité qui, en fait se dédouble : Whitney comme Paradin, utilisent pour illustrer cette maxime une gravure faite de brins de blé qui s'agglomèrent pour former une gerbe. Je reproduis ci-dessous la gravure de Paradin (page 210). On peut constater que Whitney n'a pas repris que le texte !
La question était : pourquoi précisément du blé ? Bien des images et des métaphores seraient possibles pour représenter l'accroissement de la richesse à partir de peu, comme les petits ruisseaux qui forment de grandes rivières...
En fait, la maxime est une adaptation d'un vers d'Ovide, De stipula grandis acervus erit. Au XVIème siècle, c'est une mode chez les poètes que de s'inspirer des Classiques, de les citer ou les adapter. Il y avait d'ailleurs un indice sur la page de Whitney, mais en quelque sorte un indice trompeur puisqu'il renvoyait à un autre passage d'Ovide, justement à la métaphore des petits ruisseaux...
Le vers De stipula appartient à l'Elégie VIII du livre I des Amours, dont on peut lire le superbe texte parallèle latin-français ici. Stipula en latin désigne la tige du blé, qui reste après la moisson, c'est-à-dire le chaume. Le mot a donné en français l'éteule, qui est un autre mot pour le chaume, le verbe étioler, ainsi que le mot stipule, qui a pris un sens technique différent. Dans certaines régions, des gens s'appellent encore Esteulle, Estioulle, Estublier : ceux qui ramassaient les chaumes après la moisson, ou ceux qui couvraient les toits...
D'où l'image du blé. Mais cette image est-elle bien fidèle ? Stipula, ce n'est pas le blé avec ses superbes épis, mais le chaume, ce qui reste après la moisson, la partie la moins noble, la plus dure à ramasser... Je lis le vers différemment : en ne négligeant pas ce que les autres ont laissé, en acceptant les tâches les plus ingrates, on peut encore construire de grandes choses. Avis aux chaumeurs...
Quant à Google, savez-vous qu'il existe une interface Google Latina ?
Cliquez et vous verrez qu'Ovide lui-même a adapté son propre vers...
Mais hélas, le latin n'est que la langue de l'interface. Google ne propose pas une recherche restreinte aux pages latines (c'est dommage, on pourrait chercher les occurrences de stipula). Pourtant, c'est faisable : je cite une fois encore le beau logiciel TextCat de Gertjand Van Noord (démo en ligne, libre et téléchargeable), qui sait faire cette détection de langue. Ce serait un formidable outil de recherche, qui ne coûterait pas très cher au premier moteur qui ferait l'effort et pourrait lui rapporter gros en terme d'image. Peut-être un challenger ;-) saisira-t-il la métaphore : en ramassant les chaumes, moins nobles que les blés, on peut encore faire de beaux profits... A la vitesse où Google s'active, il faut que les autres moteurs se dépêchent pendant qu'il reste quelque chose à glaner, sinon ils vont se retrouver sur la paille !
Libellés : Google
1 Commentaires:
Belle démonstration! C'est là qu'on voit l'art du linguiste à la traque du texte et du mot!
Il n'empêche, je me pose une question amusante: Augustin a-t-il lu Ovide ? Ou alors, s'agit-il d'un topos littéraire qui fait son chemin au fil de l'histoire ?
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