Jean Véronis
Aix-en-Provence
(France)


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mercredi, janvier 19, 2005

Lexique: Omnubilés par l'infractus

Tout est parti d'un billet sur Langue sauce piquante (un excellent blog tenu par les correcteurs du journal Le Monde), qui nous apprend que le mot infarctus a la même étymologie que farce. Le mot vient de farcire, "remplir", "bourrer" en latin. Pourquoi le c ? se demandent alors les auteurs. Infartus aurait suffit.

Déformation professionnelle, je cherche illico sur Google (pages francophones) et bingo... 354 pages nous proposent infartus sans c (à mon avis sans revendication étymologique particulière, mais plutôt par erreur !). Et je n'ai pas pu m'empêcher de continuer avec l'inévitable métathèse : infractus apparaît sur 1390 pages. Beaucoup ? Non, au contraire, car la forme correcte infarctus apparaît, elle, 210 000 fois. Cela fait donc à peine 0,7 % du total. Pourtant, il me semblait entendre cette erreur à longueur de journée (ou presque). Je n'ai pas d'explication. Peut-être la subjectivité de la perception ? Ou bien les internautes sont-ils plus scolarisés/cultivés que la moyenne de la population (c'est bien possible !).

J'ai testé quelques autres "classiques" de la métathèse, et le gagnant est... carapaçon, suivi de près par omnubilé ! Quant au génycologue, il est purement gényal !

CorrectNFautifN%
caparaçon1050carapaçon23218,1
obnubilé21400omnibulé16007,0
gynécologue137000génycologue65604,6
aréopage19900aéropage7583,7
obnubilé21400obnibulé8143,7
rémunération1090000rénumération171001,5
infarctus210000infractus13900,7
aéroport1320000aréoport36100,3
perception1390000preception1950,0

Un commentaire sur Langue sauce piquante m'a fait remarquer qu'une proportion non négligeable des occurrences était peut-être due simplement à des fautes de frappe. Evidemment, je fais moi-même baeucoup de fautes d'interversion lorsque je tape vite. Ah oui, vous n'avez pas noté le baeucoup dans la phrase précédente ? Pleins de gens la font, celle-là : il y en a 1580 exemples dans les pages francophones d'après Google. Mais ça ne fait que 0,02 % du total ! Dnoc pas de qoui fouetter un caht...

J'ai d'ailleurs vérifié que les autres interversions possibles sur infarctus sont très peu fréquentes. Si la métathèse n'était pas la cause principale dans infractus, on devrait en avoir un peu partout, non ? Voilà le résultat :


VarianteN
nifarctus0
ifnarctus0
inafrctus0
infractus1390
infacrtus19
infartcus3
infarcuts1
infarctsu0

Ca parle tout seul.

Peut-être que dans quelques décennies on aura des carapaçons (si on s'intéresse encore aux chevaux autres que vapeur). C'est ainsi que se sont formés des mots comme fromage (< formage) ou brebis (< berbis). Bon, la berbis ça n'est pas trop gras comme formage, pas de quoi attraper un infractus.

8 Commentaires:

Anonymous Anonyme a écrit...

Ce qui est amusant, c'est qu'il est bien probable que caparaçon soit lui même apparu d'une métathèse du préroman *karapp (qui est évidemment à l'origine de carapace, dont l'influence provoque la métathèse moderne), par influence de capa... C'est du moins une des étymologies proposées par le TLF. Un pas en avant, un pas en arrière...

Intéressant également de noter qu'à l'écrit, ces métathèses (ou fautes de frappes) ne sont pratiquement pas perçues si l'on ne pointe pas le doigt dessus. Je n'avais pas vu votre « beaeaucoup » ou votre « Dnoc » (par contre, le « caht » en position finale est beaucoup plus repérable).

Serge Bibauw

21 janvier, 2005 18:13  
Blogger Jean Véronis a écrit...

Merci pour cette remarque que caparaçon, qui démontre magnifiquement le caractère darwinien des langues ! Quelqu'un a-t-il d'autres exemples de métathèses en zig-zags ?

22 janvier, 2005 16:19  
Blogger Chris a écrit...

Il reste toujours « fromage », du lat. formaticus [caseus] « [fromage] moulé dans une forme », dér. de forma « moule, forme à fromage », voir aussi ital. « formaggio ». J'ai surement lu la forme erronnée « formage », difficile à trouver sur Google, car c'est aussi un terme technique dans les techniques des matériaux.

Ravie d'avoir trouvé votre blogue !

24 janvier, 2005 03:56  
Blogger Jean Véronis a écrit...

Google : "formage de chèvre" => 106 réponses...

01 février, 2005 12:29  
Anonymous Anonyme a écrit...

Et comme métathèse étendue, ne derait-on pas finir par trouver mention des infractus du myocrade ?

:o)

22 avril, 2005 16:12  
Anonymous Anonyme a écrit...

J'ai découvert votre blog il y a deux mois à peine et j'arrive un peu après la bataille via votre billet d'anniversaire...

Je souhaitais juste faire remarquer que les métathèses doivent être plus fréquentes à l'oral qu'à l'écrit car, comme le souligne l'article de wikipedia, elles s'expliquent souvent par la paresse articulatoire (votre impression "d'entendre cette erreur à longueur de journée (ou presque)" n'est peut-être pas si fausse finalement...)

D'autre part, pour reprendre ce que disait Anonymous, les métathèses ne sont presque pas perçues à l'écrit, comme le prouve ce petit texte devenu célèbre :
"Sleon une édtue de l'Uvinertisé de Cmabrigde, l'odrre des ltreets dans les mtos n'a pas d'ipmrotncae, la suele coshe ipmrotnate est que la pmeirère et la drenèire soit à la bnnoe pclae. Le rsete peut êrte dnas un dsérorde ttoal et vuos puoevz tujoruos lrie snas porlblème. C'est prace que le creaveu hmauin ne lit pas chuaqe ltetre elle-mmêe, mias le mot cmome un tuot. La peruve..."

11 novembre, 2005 11:08  
Anonymous Anonyme a écrit...

Bonjour !
C'est avec un intérêt certain que j'ai lu ce billet et les commentaires associés ; et c'est pourquoi je me permets d'intervenir sur le commentaire de Lokin : l'Université de Cambridge n'a jamais fait ce genre d'études, et ça ne fonctionne pas à tous les coups. J'ai développé un petit script qui permet justement de mélanger les lettres, et voyez ce que ça donne avec le même texte que celui que vous citez :

"Sleon une éudte de l'Utrvneisié de Criagmdbe, l'ordre des ltteers dans les mtos n'a pas d'ioarpmctne, la sleue coshe imnoraptte est que la pèerrmie et la drèinree siot à la bnnoe palce. Le rtese peut êrte dans un ddsorére toatl et vous poevuz tuoojurs lire snas prlèombe. C'est pacre que le creveau haiumn ne lit pas cauhqe lrette el-êmleme, mais le mot comme un tuot. La prveue..."

D'un coup c'est beaucoup moins simple, surtout si vous le faites lire à quelqu'un qui ne connait pas le contexte ni le texte original, évidemment...

Plus d'infos sur ce commentaire : http://philippebedard.net/archive/2005/05/14/311.aspx#3790

Il reste néanmoins indéniable que pour des mots dont les lettres sont "peu" mélangées, le résultat impressionne et en dit long sur la perception de notre cher cerveau !

18 août, 2006 10:52  
Blogger Jean Véronis a écrit...

Khan> Merci du commentaire! Oui, c'est vrai, le degré de désordre a son importance, ou peut-etre le type de désordre. Les interversions de lettres adjacentes semblent moins pénalisantes que les autres permutations. Il me semble aussi que si l'on respecte la structure consonne-voyelle habituelle, c'est moins gênant que lorsqu'on trouve des suites inconnues ou peu fréquentes en français comme "ptte", "rrm", "uoo", etc.

18 août, 2006 14:26  

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