La nouvelle a déjà un peu fuité (
ici). Je travaille sur un nouveau livre. Ca s'appellera :
Les politiques mis au Net
Quand les blogueurs font parler les candidats...
Estelle & Jean Véronis
Nicolas Voisin
Editions Max Milo (à paraître le 5 avril)
Le livre retranscrit les entretiens avec les candidats, "grands" et "petits" réalisés dans le cadre du
PoliTIC’Show. Ces interviews, que vous connaissez dans doute, sont à mon avis attachantes, non conventionnelles et révèlent des côtés profondément humains et intimes des candidats. Le livre décrit également l’aventure de « citoyens lambda » qui partent à l’assaut des états-majors, déjouent les filtres et les barrières, apprennent à leur manière à filmer, à interviewer, à transcrire. Il raconte le « making-of », l’ambiance, les joies et les ratés de cet épisode sans précédent de la réappropriation de la parole par les citoyens sur Internet. On voulait appeler ça «Démocratie.blog», mais l'éditeur a préféré un autre titre...
Je vous donne le début en exclu. Je posterai des bouts au fur et à mesure, les débuts de chapitres sans doute (il y en a déjà trois d'écrits). Vos réactions seront précieuses. Le livre est en train de se faire (et d'ailleurs, qui sait, certains des vos commentaires s'y retrouveront peut-être...).
PS: 13h Le scoop vient de tomber. Après pas mal d'inquiétudes et d'incertitudes, rencontre et interview avec la Madone,
Ségolène Royal herself demain après-midi à l'Assemblée nationale. J'y serai dans un coin avec mon carnet mon stylo...
Prologue
Vingt décembre 2006. Rencontre dans une brasserie parisienne. Pas une de ces brasseries 2.0 avec wifi et décor fluo. Non, une bonne vieille brasserie centenaire avec boiseries, moulures, portemanteaux en laiton et garçons grincheux en tablier noir. À chaque instant, on s’attend à voir Yves Montand pousser les portes battantes. Nicolas a les traits tirés. Le manque de sommeil est flagrant, mais l’œil pétille. Rien ne trahit la réunion de blogueurs sauf peut-être le Nokia N93 avec caméscope intégré de Nicolas, négligemment posé à côté de mon carnet Clairefontaine.
Le Libé du jour nous fait un beau clin d’œil avec une double page consacrée à la « Netpolitique ». Nous y sommes en bonne place, au milieu de la poignée de suspects habituels et de la nébuleuse de mots-clés attendus : Net-campagne, blogueurs, cybermilitants, influenceurs, journaux citoyens, wikis, Dailymotion, Flickr, etc. Libé annonce la prochaine interview du PoliTIC’Show : la Madone elle-même, Ségolène Royal. C’est pour la mi-janvier. Jean-Marie Le Pen, François Bayrou, Clémentine Autain, Corinne Lepage et une brochette de petits candidats sont déjà dans la boîte, ou plutôt sur la Toile, interrogés par Nicolas, filmés par son compère Julien Villacampa, retranscrits par Estelle et ses étudiants de master à l’université.
La double page de Libé a comme un goût de déjà vu. Il n’y a pas si longtemps le Monde en consacrait une lui aussi aux « 15 blogueurs leaders d’opinion sur la Toile », dans laquelle il avait trouvé bon de m’inclure. Je m’étais ainsi trouvé promu un instant Che Guevara du Net, aux côtés d’un blog de recettes de cuisine, d’un avocat, d’un économiste, et autres rencontres improbables. « Les 10 blogs qui comptent », « Les blogueurs les plus influents » : les dossiers aux titres accrocheurs poussent comme des champignons depuis quelque temps, comme si une sorte de curiosité un peu inquiète se développait dans les médias traditionnels à l’approche de l’élection présidentielle. Quelque chose de nouveau se passe manifestement en bas, chez les « citoyens lambda » : ils ne se contentent plus de lire ou d’écouter la bonne parole ; ils écrivent, ils filment, ils mettent en ligne, ils discutent entre eux. Et pour comble, ce sont les journalistes qui maintenant les lisent et les citent—il y a eu plus d’une affaire, récemment, qui soit partie des blogs pour atterrir dans la presse, depuis les mots-clés achetés par l’UMP sur Google jusqu’à la fameuse vidéo de Ségolène Royal sur les profs, téléchargée plus d’un million de fois sur Dailymotion à la veille du scrutin socialiste.
On avait commencé à sentir un malaise dans la presse début 2005 pendant la campagne sur le référendum. Les murmures du Net se transforment peu à peu en clameurs. Les mails circulent, se croisent, s’amplifient sur les listes de diffusion, deviennent les tracts des temps modernes. Un clic et c’est parti dans mille boîtes aux lettres. Plus de ronéos, de stencils qui bavent et d’encre sur les doigts. Les forums se déchaînent (la BnF en cherche maintenant les archives, parfois en vain). Un nouvel outil au nom étrange se révèle au grand jour : les blogs fleurissent et se font l’écho des analyses, des commentaires, des discussions entre citoyens. On avait déjà entendu ce mot sans doute, mais sans trop y attacher d’importance. Sans doute une mode, une histoire de journaux intimes de ménagères américaines, de lycéens dysorthographiques ou de soldats paumés dans une guerre d’avance perdue quelque part en Irak. Pas grand monde n’avait prédit l’importance que cet objet médiatique mal identifié allait prendre dans le paysage politique français. Seuls quelques observateurs avisés avaient remarqué que de l’autre côté de l’Atlantique le phénomène avait été le même peu de temps auparavant. Il se murmurait même que les blogs avaient fait l’élection en 2004, dans la bataille Kerry-Bush.
Bon nombre de politiques sortent du référendum avec la gueule de bois, après avoir peut-être un peu abusé de la langue du même nom. Ils essaient de rattraper leur retard comme ils peuvent, chattent comme des fous à la moindre occasion, multiplient les sites et les blogs comme le Christ les pains. L’exercice n’est pas facile. Rien ne prédispose le député ou le ministre quinquagénaire, qui passe sa vie en réunions, voyages en TGV, et mortels débats nocturnes à l’Assemblée, à saisir d’emblée l’esprit du Net. Ne devient pas « geek » qui veut. Il faut avoir connu les nuits blanches derrière un écran, les affres du code HTLM qui s’embrouille, des feuilles CSS qui s’emmêlent, des javascripts qui buggent, des fils RSS qui ne répondent pas et des fichiers XML perdus dans de lointains namespaces… On devine la cohorte d’assistants et de militants qui tapent fébrilement ce que dicte leur patron chatteur en herbe (et sèment parfois sa prose de coquilles savoureuses, comme le prémonitoire Contrat première embuche de Dominique de Villepin), ou qui animent comme ils peuvent les blogs et sites de campagne. L’idée n’y est pas encore tout à fait. Le livre interactif de Ségolène Royal se résume à deux chapitres assez brouillons sous forme de documents Word mal formatés. Nicolas Sarkozy se fait copieusement siffler au Web 3 après un magistral plantage de registre communicationnel…
Certains ont compris mieux que d’autres. François Bayrou se promène en personne dans des réunions de blogueurs, laisse lui-même des commentaires sur les blogs, répond aux demandes d’interviews de « blog-reporters », arrose le tout d’une copieuse dose de critique des médias. Sa gifle, il la donne désormais à Claire Chazal, Etienne Mougeotte et Patrick Le Lay. Paradoxal : l’agrégé de lettres classiques, spécialiste de latin-grec, a mieux compris la blogosphère que les technocrates de l’ENA. Et ça marche : Internet le lui rend bien. Les sondages en ligne le donneraient très haut dans le cœur des geeks.
Pendant ce temps, ça fourmille « en bas », si jamais le Web a un « bas ». C’est peut-être ça la magie du réseau : il n’y a plus de bas et de haut dans la Toile planétaire. N’importe quel citoyen peut devenir homme-média. Hommedia, comme écrit Nicolas. La France ébahie avait assisté en 2005 à l’avènement du phénomène Etienne Chouard. Pour ou contre ses analyses, peu importe. En quelques semaines, un citoyen lambda, prof dans un lycée de province, devient le centre de la Toile, le symbole de la Résistance citoyenne. Des réseaux se forment, les mailles de la Toile se resserrent. Les sites se fédèrent, se syndiquent, s’agrègent. Rezo.net, les Freemen, Agoravox, le Monde Citoyen, des communautés se créent et s’entrecroisent. Les citoyens n’ont jamais autant écrit, autant lu, autant discuté.
Les dossiers « Netpolique », « Cybercampagne » ou « Top-blogueurs » des médias classiques semblent décalés par rapport à cette effervescence, à cette vague de créativité. L’histoire doit sans doute être racontée par des « insiders »…
Une quenelle et une entrecôte pour la huit ! Le ballet des pingouins grincheux continue. La salle s’est remplie de volutes épaisses. Est-ce l’effet du Château du Seuil, ou de la discussion passionnée ? L’œil de Nicolas brille de plus en plus. Il faut raconter cette histoire pendant qu’elle est en train de se faire. Plus tard, ce ne sera plus exactement la même chose. Les fatigues seront oubliées, les passions atténuées, les échecs adoucis…
Le livre est né sur la table. Ce sera l’aventure du PoliTIC’Show. Les rôles se dessinent : Nicolas et Julien font parler les candidats, Estelle transcrit, je raconte. Le fil conducteur émerge. Les candidats à la présidentielle se livrent à des blogueurs, se prennent au jeu. François Bayrou avait promis une heure, il en donne trois. Les interviews sont attachantes, peu traditionnelles, elle relèvent plus de la conversation que de l’exercice habituel et convenu de l’interview politique. Leur publication constituera un témoignage de cette communication directe avec le Net dont ils sont en train de chercher les clés. Mais il faut aussi décrire le parcours inverse, celui de ces « citoyens lambda » qui partent à l’assaut des états-majors, déjouent les filtres, les barrières, les pièges, apprennent à leur manière à filmer, à interviewer, à transcrire. Il faut décrire leurs émotions. Se retrouver sans grande expérience face à une bête médiatique comme Jean-Marie Le Pen, ce n’est pas une aventure banale… Il faut décrire le « making-of », l’ambiance, le contact, les ratés. Donner la saveur de cette Netpolitique en train de s’inventer. Il n’y a pas de top blogueurs ni de stars. Juste des citoyens qui cherchent.
Et qui remuent leur café en essayant d’oublier la montagne d’obstacles qui se dressent sur le chemin. Si jamais Ségo… Mais non, ça se fera : la parole est donnée. Et il faut Sarko à tout prix, sinon le livre n’aura pas de sens. A moins que ce soit le contraire ? Le sens véritable n’est-il pas « ailleurs » ?
Garçon, l’addition !
8 Commentaires:
Décidemment, vous êtes très bon dans les hommages, je me souvenais de celui de Raymond Devos...
Merci, c'est gentil ! Mais quand il y a de l'émotion, les mots viennent tout seuls. J'ai croisé les chiffoniers il y a bien longtemps (et aussi ATD Quanrt-Monde), et j'en ai gardé comme une force au fond du coeur...
deux petites choses : on peut noter que ces chiffons servaient entre autres à faire le papier, selon un procédé bien moins polluant que pour le papier de bois, et donnant une bien meilleure qualité (notament au niveau de la conservation à long terme).
Deuxième chose : les inventeurs d'horreurs comme « mél. » (la recommandation officielle comprend ce point aberrant) ou « bloc» pour un site internet ne sont en rien des (pur)puristes : des bureaucrates et des vandales, se peut, des tératolexicographes sans aucun doute, mais en aucun cas des puristes.
sinon : où trouvé-je le (petit) matos informatique le moins cher (moins cher que sur tous les sites Internet ?) aux puces, bien sûr.
L'abréviation Mél. (contraction de message électronique) avec majuscule et point pseudo-abréviatif n'a jamais existé que comme pendant à l'abréviation Tél. pour des cartes de visite et elle n'a jamais été un nom commun à insérer dans une phrase, ce nom n'a jamais existé dans aucune recommandation officielle. La forme était une erreur manifeste et elle engendrait des confusions sans pouvoir servir à former un nom commun, mais le fait de faire croire que c'était (l'abréviation n'existe plus) un nom commun comme “courriel” relève souvent de l'ignorance, de la mauvaise foi, de la confusion, de la volonté de dénigrer à tout prix. Pour “bloc(-notes)”, c'est une gigantesque couennerie en revanche.
Dominique> Mél. Je sais bien, mais j'ai bien souvent entendu dire mes collègues qu'il fallait dire "mèl" ou "mél" et pas "e-mail" que je crois que l'origine abréviative s'est purement et simplement perdue dans l'inconscient linguistique collectif...
Post très sympa en plus d'être instructif. Toujour smerci.
"J'ai vu après, à la télé justement, les grands de ce monde venus verser leur larme, et je n'ai pas pu m'empêcher de penser qu'avec un an des «frais de bouche» que s'octroyaient généreusement certains qui avaient l'air très émus, tu aurais probablement décuplé le budget d'Emmaüs, et dépanné pas mal de pauvres gens..."
CQFD !!
C'est un très beau billet que vous avez écrit là, et un bel hommage tel que l'Abbé Pierre en mérite.
Sinon, pour la poste, je n'ai eu aucune peine à adopter le terme de courriel, en partie du fait qu'il entretient un lien - d'évidence - avec la forme maitenant considérée comme "so passée" (dire avec l'accent british mais snob) - du courrier, mais aussi de la correspondance, bien plus riches en évocations que celui de la boîte èa malle...
Pardon pour les coquilles, j'ai un nouveau clavier... éa se lira en tant que à
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